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faveur du coupable, ce même Laurent écrivait à la seigneurie de Sienne, en l’exhortant à gracier un rebelle : « C’est par la pitié qu’on mérite la miséricorde de Dieu et la faveur des hommes. »

Les exécutions motivées par la conjuration des Pazzi amenèrent une guerre de deux ans avec Sixte IV et le roi de Naples. Cette guerre mit à deux doigts de sa perte la république florentine, et le pouvoir du chef de l’état ne laissa pas de paraître ébranlé ; même parmi les amis des Médicis, il y avait comme un réveil d’esprit public. Ces tendances s’accentuèrent davantage lorsque Laurent se livra entre les mains de Ferdinand pour obtenir la paix, car on n’était pas sûr que Laurent revînt jamais à Florence. On se permettait de trouver mauvais que les honneurs fussent distribués et les emplois répartis non d’après la volonté des conseils, mais suivant le caprice d’un seul ou de quelques-uns. Le péril général préserva la situation de Laurent et empêcha tout changement à l’état de choses créé par lui.

Après la conclusion de la paix, Laurent jugea nécessaires de nouvelles réformes, afin de déconcerter les tentatives d’opposition et de mettre sa volonté à l’abri de toute atteinte. Il n’eut pas recours à un parlamento, c’est-à-dire à une de ces réunions populaires qui, sur la place publique entourée de soldats, se laissaient arracher la dictature. Cette fois encore Laurent prit pour complices les magistrats et les conseils établis, « gardiens séduits d’une liberté mensongère[1]. » Le 8 avril 1480, suivant la proposition de la seigneurie, tous les pouvoirs furent remis aux mains de trente citoyens entièrement dévoués à Laurent, lesquels s’adjoignirent bientôt quarante autres citoyens parce que leur petit nombre paraissait exciter trop de mécontentement. Ainsi fut formé le conseil des soixante-dix, qui gouverna Florence, pendant toute la vie de Laurent, à la façon d’un conseil d’état sous un prince absolu. On a retrouvé une liste sur laquelle avaient été inscrits les citoyens qui pouvaient un jour ou l’autre y être admis, et à côté de certains noms on lit ces mots : « à éprouver et à gagner. » Du reste, connaissant l’affection du peuple pour les formes de la liberté, Laurent se garda d’abolir les anciens conseils. Il se contenta de leur enlever toute influence sur la direction des affaires publiques. Les buoni-uomini, les gonfaloniers des compagnies, le capitaine du peuple, les huit de garde, les conservateurs des lois, le tribunal de la Mercatanzia, continuèrent à subsister. Qu’importaient à Laurent les institutions démocratiques du passé, puisque, tout en satisfaisant d’innocentes aspirations, elles ne compromettaient pas son gouvernement personnel ? Le conseil des soixante-dix maintint une inaltérable tranquillité dans la ville. En apparence, la concorde régnait entre les

  1. Carlo Capponi.