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accompagnement de lyre, tu es assis dans une chambre, entouré de vieilles dames, et tu te mets à dodeliner du cou ; tu es assis en présence de jeunes filles, oint d’essence, ta guirlande de menthe au cou, et tu te mets à te battre le ventre, tu te balances comme une oie, tu tombes sur le ventre, tu te salis comme un crocodile. »

M. Lauth, M. Brugsch, bien d’autres encore en ont fait la remarque : aussi loin qu’on remonte dans les tombes de l’ancien empire, sur les fins bas-reliefs aux vives couleurs ou sur les papyrus, partout en Égypte éclatent la joie et le bonheur de vivre. Qui n’a vu au musée égyptien du Louvre, sur le palier du grand escalier, les trois statues archaïques d’une si prodigieuse antiquité, peut-être de la IIIe dynastie ? Ces bonnes et dignes figures ne respirent-elles pas la joyeuse sérénité, le suprême contentement du fonctionnaire ou du bourgeois qui a conscience d’avoir observé les lois de l’état, voire les ordonnances de l’édilité ? Rien de plus caractéristique que la tête petite, le nez court et rond, les joues pleines, la bouche un peu épaisse et bienveillante des antiques et fortunés habitans de la vallée du Nil. Dès l’ancien empire, on retrouve le corps svelte et élancé du fellah moderne, ses larges épaules, ses bras nerveux, ses jambes sèches, ses pieds aplatis par l’habitude de marcher sans chaussures[1].

Le moyen d’être triste sous ce ciel bleu d’Égypte aux ardentes pâleurs, dans cette lumière élyséenne, douce et légère comme une caresse, qui semble moins faite pour des hommes que pour des ombres heureuses ? L’oppression et la misère n’y faisaient rien. On oubliait le poids du jour à contempler le dieu suprême, le soleil, descendant chaque soir vers l’occident mystérieux, sans laisser derrière lui d’autre trace qu’une lueur rouge rapidement évanouie. Grâce à la merveilleuse transparence de l’air, les tons verts et roses du paysage brillaient comme des flammes à l’heure incandescente de midi. Puis l’ombre tombait des collines libyques, et les milliers de barques qui couvraient le Nil s’approchaient des rives plantées de palmiers, de sycomores aux troncs noueux, de mimosas et de tamaris au feuillage gracieux ; on écartait les roseaux, on amarrait les embarcations à ces pierres dont il est parlé au Livre des morts ; on prenait terre dans les bas quartiers des villes, dans ces villages devant lesquels étaient rangés de lourds bateaux chargés de meules de blé.

C’est surtout en Égypte que le berceau touchait à la tombe : on songeait de bonne heure, et sans mélancolie aucune, à la « demeure éternelle ; » on la voulait élégante et de bon goût, sinon

  1. Mariette-Boy, Notice des principaux monumens du musée de Boulaq, 3e édition, p. 209.