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J’ai dit que cette première campagne de 1800, ces premiers états de service sous Macdonald à l’armée des Grisons, ont été pour le jeune Ségur la date d’une transformation virile. C’est le moment où les principes qui dirigeront sa vie se gravent au fond de son âme. S’il a eu d’abord quelque peine à subir l’attrait personnel du premier consul, il lui a fallu moins de temps pour reconnaître la légitimité de la révolution. Il se réfère à ces jours passés dans l’armée de Macdonald quand il écrit cette page, si bonne à reproduire aujourd’hui : « Ce fut alors surtout que je compris la révolution. J’en voyais pour la première fois à découvert les plus fortes, les plus vivaces et les plus profondes racines. Les passions dont j’étais environné blessaient mes premières directions, elles me repoussaient en moi-même, où j’aimais d’ailleurs à me renfermer, elles rendaient ma position difficile. Cette situation me fut profitable. Au milieu de cette armée plébéienne si fière d’elle-même à si juste titre, je mesurai la double folie d’une obstination royaliste et surtout aristocratique : la première, sous nos drapeaux républicains, me sembla une trahison ; quant à la seconde, entouré de tant de guerriers, tous plus anciens, plus expérimentés, plus instruits que moi, je sentis combien ces prétentions exclusives de naissance seraient non-seulement dangereuses, mais injustes et ridicules. Dès lors j’acceptai la révolution comme un fait accompli, fondé en droit, et auquel le bon sens, l’équité, l’intérêt du pays et même celui de l’ancienne noblesse ordonnaient qu’on se rattachât. Cette conviction acquise, cette route tracée, ce rôle choisi, j’y fus fidèle ; je voulus y être utile et contribuer à y entraîner avec moi l’ancienne France, c’est-à-dire le plus grand nombre de nobles qu’il se pourrait, afin de hâter la fusion et de rendre désormais impossible tout retour aux proscriptions conventionnelles et directoriales. Cette idée s’empara fortement de moi. Depuis et sans cesse elle inspira mes conversations, mes actions et jusqu’à mes moindres paroles. Ce fut surtout alors que, pour m’encourager dans une voie où les rôles avaient tant changé, je comptai et récapitulai continuellement les noms des colonels et des généraux de l’ancienne noblesse, alors en pied dans l’armée en dépit, des proscriptions, et qui devaient m’y servir de point d’appui. C’étaient les Caulaincourt, d’Hautpoul, Grouchy, Pully, Rochambeau, d’Hilliers, Macdonald, etc. Je n’en oubliais qu’un seul, celui qui venait de m’y appeler et qui bientôt devait être notre protecteur le plus puissant, c’était le premier consul ! Mais, par une inconséquence, par un entraînement naturels à mon âge, subissant aveuglément l’influence de l’atmosphère qui m’entourait, je ne voyais en lui qu’un usurpateur passager, l’ennemi de mon général, celui de Moreau, et qui devait incessamment succomber sous le poids de la haine universelle. A cela près, la pensée qui