Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouve porte close. Une fausse pudeur fait que les enfans et même les familles qui les ont adoptés.et qui leur ont donné leur nom n’aiment pas qu’on vienne rappeler les mauvais jours, la honte d’hier en présence de la restauration morale d’aujourd’hui.

Les jeunes filles rencontrent encore de plus heureuses chances que les garçons. Dans ce pays où l’égalité sociale règne partout, où la femme est supérieure à l’homme en toutes choses, où elle est entourée publiquement de tant de respect, de tant d’hommages, quelle qu’elle soit, nul étonnement si quelques-unes de ces filles des rues, moralisées, relevées par l’instruction, le travail, les bons principes, arrivent à devenir les femmes d’hommes comme il faut. L’une d’elles, qui avait soigné un gentleman malade avec cette attention délicate que les femmes seules savent déployer au chevet d’un souffrant, fut épousée par celui-ci malgré la vive opposition de sa famille. Un autre habitant de New-York, devenu subitement amoureux d’une jeune fille des rues que la Société protectrice avait heureusement arrachée à la plus dégradante des situations et placée comme ouvrière, l’épousa également malgré les siens, auxquels il fit cette philosophique réponse : « qu’il se mariait pour son plaisir et non pour celui de sa famille. » La jeune femme voyagea en Europe, revint en Amérique, entièrement transfigurée, élégante, distinguée. Elle ne rougit pas de sa première origine ; elle alla en arrivant frapper à la porte de l’école où on l’avait naguère recueillie ; on eut peine à la reconnaître. Elle embrassa avec effusion sa digne maîtresse, et plusieurs fois elle revint la visiter. Elle la prenait dans sa voiture et la promenait par la ville, contente et fière de procurer un peu de distraction et de plaisir à celle qui, gratuitement et sans espoir de retour, lui avait fait hier tant de bien.

A quoi bon citer d’autres exemples du même genre ? La liste en serait longue, et si vous visitez le logis des jeunes filles, on vous racontera dans tous leurs détails l’histoire des « héritières, » comme les appellent leurs compagnes moins fortunées. N’est-ce pas le cas plutôt de rappeler quels avantages la Société protectrice de New-York apporte à la municipalité elle-même de cette grande ville, dont elle purifie non-seulement les quartiers pauvres, mais dont elle allège aussi pour une bonne part les énormes dépenses ? Grâce aux logis et aux écoles qu’elle a créés, grâce à l’émigration des enfans vers l’ouest, le nombre des délits et des crimes a sensiblement diminué à New-York depuis vingt ans. Il nous suffira de dire que, pour la décade qui va de 1861 à 1871, le chiffre total des enfans des rues arrêtés pour vagabondage et petits vols a diminué de plus de moitié, bien que le nombre absolu de ces enfans ait considérablement augmenté. A qui revient presque exclusivement l’honneur