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suppléer, s’est-on dit, par des barrages artificiels ? Avec vingt-cinq ou trente réservoirs de chacun 10 millions de mètres cubes dans le haut d’un fleuve ou de ses affluens, on emmagasinerait au moment opportun la partie dommageable d’une crue ; on aurait ensuite de quoi fournir en étiage un débit régulier, au grand avantage des cultures, des usines et de la navigation. La dépense première d’une pareille entreprise n’aurait rien d’excessif, puisque les réservoirs déjà construits ne coûtent guère que 80,000 francs par chaque million de mètres cubes de capacité. Que l’on compare cette mise de fonds, si grosse soit-elle, aux désastres d’une inondation telle qu’on en vit en 1856. Aménager ainsi les eaux de tout un bassin fluvial, ce serait, à vrai dire, faire à volonté la pluie et le beau temps. Le cultivateur, l’usinier, puiseraient dans le canal d’irrigation le jour où sa terre serait trop sèche ou son bief trop abaissé. La manœuvre d’une vanne remédierait à l’inconstance des saisons.

Sur une échelle restreinte, voilà ce que M. Poirée proposait de faire dans le Morvan, M. Boulangé et M. Vallée dans la vallée de la Loire, au-dessus de Roanne. Ce sont en effet les terrains primitifs où l’Yonne et la Loire ont leurs sources qui se prêteraient le mieux à des constructions de barrages, puisque les matériaux s’y trouvent sur place et que les vallons y sont rétrécis par des défilés naturels. C’est aussi là que l’eau de pluie ruisselle à la surface sans être absorbée par le sol. Que ce système soit accepté, puis poursuivi avec persévérance, le massif central de la France où prennent naissance non-seulement la Loire et ses principaux affluens, l’Allier, le Cher, la Vienne, mais encore l’Aveyron, le Tarn, le Lot, l’Hérault, l’Ardèche, toutes rivières d’allure torrentielle, — le massif central deviendra le réceptacle d’une multitude de lacs artificiels d’où ne sortiront plus que des cours d’eau tranquilles.

Des projets si grandioses sont-ils une utopie, comme l’enseigne M. de Lagréné en s’appuyant sur l’autorité de MM. Dupuit et Belgrand ? Voyons du moins quelles objections ces ingénieurs leur opposent. D’abord les réservoirs, construits avec la doublé pensée de soutenir le débit d’étiage et de préserver des inondations, risqueraient de ne pas satisfaire à la première de ces conditions dans le cas où ils seraient maintenus vides au printemps ; or, qu’il survienne des crues tardives, comme celles de mai et juin 1856, les réservoirs, déjà remplis, ne pourront rien absorber. En second lieu, dans le bassin de la Loire, les inondations deviennent funestes surtout lorsque les crues des affluens se superposent. S’il pleut en même temps dans toute l’étendue de ce bassin, qui est, on le sait, fort considérable, la crue de la Vienne arrive la première dans le lit principal, puis