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incroyable. L’espèce humaine est en pleine décadence; la taille des hommes diminue; comme des enfans nés de vieux parens, nos races n’ont plus la vigueur des premiers âges. « Le siècle a perdu sa jeunesse, et les temps commencent à vieillir[1]. »

Les signes des derniers jours sont chez Pseudo-Esdras les mêmes que dans les apocalypses chrétiennes. La trompette sonnera. L’ordre de la nature sera renversé, le sang coulera du bois, la pierre parlera. Hénoch et Élie apparaîtront pour convertir les hommes. Il faut se hâter de mourir, car les maux présens ne sont rien auprès de ceux qui viendront. Plus le monde s’affaiblira par vieillesse, plus il deviendra méchant. La vérité se retirera de jour en jour de la terre, le bien semblera exilé.

Le petit nombre des élus est la pensée dominante de notre sombre rêveur. L’entrée de la vie éternelle est comme le goulet resserré d’une mer, comme un passage étroit et glissant qui donne accès à une ville; à droite, il y a un précipice de feu, à gauche une eau sans fond, un seul homme à peine y peut tenir; mais la mer où l’on entre ainsi est immense, et la ville est pleine de toute sorte de biens. Il y a dans le monde plus d’argent que d’or, plus de cuivre que d’argent, plus de fer que de cuivre. Les élus sont l’or; les choses sont d’autant plus rares qu’elles sont plus précieuses. Les élus sont la parure de Dieu; cette parure n’aurait plus aucune valeur, si elle était commune. Dieu ne s’attriste pas de la multitude de ceux qui périssent; les misérables! ils n’existent pas plus qu’une fumée, plus qu’une flamme; ils sont brûlés, ils sont morts... On voit quelles racines profondes avaient déjà dans le judaïsme les atroces doctrines d’élection et de prédestination qui devaient causer plus tard à tant d’âmes excellentes de si cruelles tortures. Ces effroyables duretés, dont toutes les écoles préoccupées de damnation sont coutumières, révoltent par momens le sentiment pieux de l’auteur. Il se laisse aller à s’écrier : « O terre, qu’as-tu fait en donnant la naissance à tant d’êtres destinés à la perdition? Qu’il eût mieux valu que la conscience ne nous eût pas été donnée, puisqu’elle n’aboutit qu’à nous faire torturer ! Que l’humanité pleure, que les bêtes se réjouissent; la condition de ces dernières est préférable à la nôtre, puisqu’elles n’attendent pas le jugement, qu’elles n’ont pas de supplice à craindre, et qu’après la mort il n’y a plus rien pour elles. Que nous sert la vie, puisque nous lui devons un avenir de tourmens? Mieux vaudrait le néant que la perspective du jugement après la mort. » L’Éternel répond que l’intelligence a été donnée à l’homme

  1. IV Esdr., XIV, 10. « Seculum perdidit juventutem suam, et tempora appropinquant senescere. »