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était la négation directe; il avait servi de base à l’erreur de Vigilance, si fortement combattue par saint Jérôme. L’omission s’arrête juste à l’endroit où, par suite de la forme du dialogue, la prière pour les morts semble au contraire être recommandée. Une telle suppression est postérieure au IVe siècle, puisque saint Ambroise et Vigilance font usage de la partie enlevée.

Pseudo-Esdras admet bien la liberté; mais la liberté a peu de sens dans un système où l’on se fait une idée aussi exaltée de la prédestination. C’est pour Israël que le monde a été créé; le reste du genre humain est damné.

« Et maintenant, Seigneur, je ne vous prierai point pour tous les hommes (vous savez mieux que moi ce qui les regarde); mais je vous prierai en faveur de votre peuple, de votre héritage, qui est le sujet continuel de mes larmes...

« Interrogez la terre, et elle vous dira que c’est à elle qu’il appartient de pleurer. Tous ceux qui sont nés ou naîtront sortent de la terre; cependant ils courent presque tous à leur perte, et le plus grand nombre d’entre eux est destiné à périr...

« Ne t’inquiète pas du grand nombre de ceux qui doivent périr, car ayant, eux aussi, reçu la liberté, ils ont dédaigné le Très-Haut, rejeté sa loi sainte, foulé aux pieds ses justes, dit dans leurs cœurs : il n’y a point de Dieu. Aussi, pendant que vous jouirez des récompenses promises, ils auront en partage la soif et les tourmens qui leur ont été préparés. Ce n’est pas que Dieu ait voulu la perte de l’homme, mais ce sont les hommes formés de ses mains qui ont souillé le nom de celui qui les a faits et qui ont été ingrats pour celui qui leur a donné la vie...

« Je me suis réservé un grain de la grappe, une plante de toute une forêt. Périsse donc la multitude qui est née en vain[1], pourvu que me soit gardé mon grain de raisin, ma plante que j’ai dressée avec tant de soin. »


IV.

Une vision spéciale[2] est destinée, comme dans presque toutes les apocalypses, à donner d’une façon énigmatique la philosophie de l’histoire contemporaine, et, comme d’ordinaire, on en peut conclure la date du livre avec précision. Un aigle immense (symbole de l’empire romain dans Daniel) étend ses ailes sur toute la terre et la tient dans ses serres. Il a six paires de grandes ailes, quatre paires d’ailerons ou contre-ailes et trois têtes. Les six paires de grandes

  1. « Multitudo quæ sine causa nata est. »
  2. Chap. XI et XII.