résultat. Nous sommes en selle depuis près de huit heures, et à peine avons-nous franchi deux farsaks; le jour baisse rapidement, nous n’avons que le temps d’atteindre un gîte avant la nuit. La vue de quelques masures perchées comme des nids de vautours à la cime de la montagne ranime à propos nos courages, et c’est avec un soupir de réelle satisfaction que nous franchissons le seuil de l’étable, qui doit pour la circonstance nous servir de chambre à coucher. L’endroit n’a pourtant rien de séduisant. Un feu de bouse de vache[1], dont le parfum caractéristique se fait sentir du dehors, nous donne dès le début un avant-goût du supplice réservé à notre odorat. Cinq ou six naturels, accroupis autour de ce foyer empesté, nous cèdent la place en rechignant et vont continuer dans quelque réduit plus misérable encore leur existence de marmotte. La fatigue qui nous terrasse ne nous permet heureusement pas de faire de longues réflexions sur l’insuffisance de notre installation, et nous prouve qu’à l’occasion une botte de paille et deux couvertures peuvent tenir lieu du lit le plus moelleux.
7 avril. — La neige continue à tomber. Nos muletiers refusent absolument de se mettre en route, et nous n’osons pas les y contraindre. La susceptibilité de notre nerf olfactif ne pouvant décidément s’accommoder du seul combustible qui soit à notre portée, nous prenons le parti de rester jusqu’au lendemain blottis dans nos couvertures. L’ennui ne se raconte point; passons.
8 avril. — Notre premier soin au réveil est de mettre le nez à la porte qui nous sert de fenêtre. La situation s’est sensiblement améliorée : un pâle rayon de soleil se joue sur la neige durcie et permet d’espérer que notre captivité touche à sa fin. Le postillon envoyé en éclaireur déclare que la route est praticable : vite en selle ! Le dégel peut gâter nos affaires; il s’agit d’arriver avant lui au bas de la montagne. La descente est assez douce d’ailleurs, le versant qui regarde Cazbin aboutissant à un plateau élevé de plus de 3,000 pieds au-dessus du niveau de la Caspienne. Quelques chutes sans gravité égaient la monotonie de la journée sans ralentir notre ardeur. Dès midi, nous sommes arrivés au village d’Aghababa, situé à la base même de l’Elbourz; d’Aghababa, une pente insensible nous amène en deux heures aux portes de Cazbin. Une fois à Cazbin, nous serons au bout de nos misères. Le général assure que jusqu’à Téhéran la route est unie comme une table.
- ↑ L’emploi de ce singulier combustible est général en Orient. Pétries en galettes par les femmes indigènes et séchées au soleil sur les terrasses, les fientes de vache sont précieusement conservées pour l’hiver.