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FLAMARANDE.

encore. J’avais beaucoup reclouté de la revoir maigrie et triste comme à son départ. Loin de là, elle semblait radieuse. Elle avait pris son parti, Gaston paraissait oublié, Roger était assez, il était tout pour elle. Dans cette situation, je me demandai si je devais troubler la paix reconquise dans cet intérieur par une révélation périlleuse, et je retombai dans mon accablement. J’avais dû ma guérison physique et morale à une courageuse résolution de consoler cette mère éperdue. Je la retrouvais oublieuse ou abusée définitivement. Je me sentais comme forcé de rester criminel envers elle et coupable à mes propres yeux. Ma timidité vis-à-vis d’elle en augmenta d’autant. Je m’étais flatté, dans mes bons rêves de Flamarande, de conquérir par mes aveux et mon repentir la bienveillance presque amicale qu’elle m’avait témoignée dans sa douleur et que j’avais tant besoin de mieux mériter. Pour voir sa joie et sa reconnaissance, j’aurais, je crois, donné ma vie, et j’eusse bravé la fureur, le mépris de mon maître ; mais quoi ? elle ne pensait plus à Gaston. Elle était calme, elle était belle. Elle me regardait tranquillement, elle me parlait avec une douceur polie et fioide. Ses yeux n’interrogeaient plus les miens. Sa main ne se tendait plus vers la mienne. Elle avait oublié tout, je n’étais plus que le valet de chambre de M. le comte. Elle n’avait même plus un ordre à me donner.

Un jour, elle me trouva à quatre pattes dans l’antichambre, servant de monture à l’impétueux Roger, qui, tout en me tenant au cou et m’embrassant, me donnait des coups de talon dans les côtes. Elle le prit vivement dans ses bras, comme si elle eût craint que je ne lui fisse du mal. — Ah ! madame, lui dis-je en me relevant, vous ne savez pas comme j’aime les enfans !

— Je le sais, répondit-elle, je sais que vous avez un très bon cœur ; mais vous gâtez trop Roger. Il en abuse et deviendra méchant.

Il me sembla que le moment était comme fatalement amené pour ma confession et j’allais supplier madame de m’entendre en particulier ; mais, avant que j’eusse pu trouver un mot pour exprimer mon intention, elle avait disparu, emportant son fils, et je n’eus pas le courage de la suivre.

Un autre jour, je reçus des mains du facteur une lettre à son adresse, et je reconnus l’écriture de Mme de Montesparre. J’étais résolu à ne plus servir d’espion, et j’allais remettre cette lettre à Julie lorsque M. le comte passa près de moi rapidement et la prit en disant : — Suivez-moi. — Quand je fus dans son cabinet : — Lisez-moi cela, dit-il.

Je ne voulais plus, je tremblais, ma révolte allait éclater. Il ne

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