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Berthe. Par elle, il savait du dehors tout ce qui pouvait l’intéresser. Personne ne savait rien de lui au-delà du petit canton qu’il habitait. À Montesparre même, on ne paraissait pas soupçonner son voisinage. Il est vrai que je n’avais pu interroger aucune personne du château, et que Mlle Suzanne, que j’avais questionnée à Paris, avait fort bien pu se moquer de moi.

Tout me fut expliqué quand j’eus pris connaissance des nombreuses et émouvantes lettres de Berthe de Montesparre. C’était l’historique complet et minutieux des faits que j’avais pressentis et de ceux que j’avais ignorés. Je ne pourrais transcrire toutes ces lettres, et j’en donnerai seulement le résumé.

Mme de Montesparre avait toujours ardemment aimé M. de Salcède, et, se croyant aimée de lui, elle avait eu l’imprudence de lui ouvrir son cœur ; mais Salcède n’avait aimé qu’une femme en sa vie ; il l’aimait toujours. Selon lui, cette femme, Mme de Flamarande, ne lui avait jamais appartenu. Je n’avais sous les yeux aucune dénégation formelle écrite de sa main ; je constatais seulement sa discrétion persévérante par les réponses de Mme de Montesparre, qui, du reste, était fort sceptique à l’endroit de cette prétendue innocence. J’en citerai quelques traits que j’ai transcrits cette nuit-là.

« 1845, 13 avril, Paris.

« Quittez l’Amérique, revenez ! Elle a ou elle aura bientôt besoin de vous. Elle n’est pas si consolée, elle n’est pas si heureuse que je vous le disais et qu’on le croyait autour d’elle. Elle a bien eu un second fils quelle adore et que son mari ne peut attribuer qu’à lui-même ; mais l’autre, celui qu’elle a perdu et qu’elle a cru mort naturellement,… il faut bien à présent tout vous dire. Vous êtes guéri, vous êtes de force à supporter un nouveau coup ; ce premier enfant, qu’on lui a dit mort de maladie, M. de Flamarande l’a renié et, selon toute apparence, il l’a fait ou l’a laissé mourir, ou encore il l’a fait disparaître et élever quelque part. Rolande est à Sévines depuis huit jours, et là elle a appris de son mari que l’enfant et la nourrice avaient été noyés. Rien ne le prouve, elle n’y croit pas, elle espère, elle s’exalte, elle devient folle. Il la brutalise et la menace. Elle a dû renoncer à ses recherches et retourner en Italie ; mais, en partant, elle m’écrit en secret pour me supplier de les continuer, et je le veux bien, mais je ne sais comment m’y prendre. Il faut que vous acceptiez ce soin-là. Vous êtes riche, vous êtes libre, vous aimez les voyages, que je n’aime point du tout. Il faut retrouver cet enfant ou acquérir la preuve de sa mort, à laquelle je ne crois pas pour mon compte. Voici pourquoi : un mien cousin, qui demeure l’été près de Bourges (le vieux Frépont que