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FLAMARANDE.

précipitamment ma bougie et regardai ce point éblouissant et fixe. Ce n’était pas une lumière en marche, c’était le jour ; la grotte s’ouvrait sur le torrent, dont le mugissement arrivait jusqu’à moi. J’y courus, mais pas d’autre issue que l’eau qui bondissait furieuse dans des abîmes. Je m’étais donc trompé de galerie, Mme de Flamarande n’avait pu passer par là. J’examinai le tableau austère et charmant que les cascades et l’épaisse végétation échelonnée sur les parois du rocher formaient devant, mes yeux. J’étais au fond d’un gouffre d’où il paraissait impossible de sortir par le côté du rivage sur lequel je me trouvais. Je reconnus en face de moi le sentier élevé où M. de Salcède m’était apparu pour disparaître comme par enchantement.

Il n’y avait pourtant pas moyen de passer sous la cascade, et je dus me livrer à d’infructueuses recherches qui me prirent du temps. Le jour augmentait, une lueur rosée répandue sur les objets m’annonçait que le soleil était levé. Je rentrai dans l’obscurité et y marchai à tâtons, espérant surprendre le retour de M. de Salcède, qui me serait un indice pour trouver la sortie ; mais, ayant abouti à une impasse, je me disposais à rallumer ma bougie lorsqu’une soudaine terreur s’empara de moi en reconnaissant après mille recherches que je l’avais perdue. J’avais des allumettes chimiques. J’en allumai une qui me fit voir un endroit de la caverne que je ne reconnus pas pour l’avoir traversé un instant auparavant, mais qui me permit de sortir de l’impasse et de retrouver une voie praticable. Une seconde allumette me fit retrouver la ligne tracée à la craie sur le vrai chemin, mais sans qu’il me fût possible de savoir si je retournais vers le Refuge ou vers le lit du torrent. À la troisième allumette, l’humidité ayant pénétré dans l’étui, je ne pus me procurer un instant de clarté, si court qu’il fût, et je dus marcher dans les ténèbres. Je n’avais pris aucun aliment et aucun repos depuis plus de vingt-quatre heures. Je n’en souffrais pas sensiblement, mais mon cerveau fatigué perdait toute force de réaction, et mon imagination, assombrie par l’obscurité, commença à me tourmenter. Je marchai sans me heurter à aucun obstacle et sentant la paroi du roc de distance en distance, mais ce trajet que j’avais fourni si vite me parut d’une longueur effrayante, lorsque tout à coup je ne sentis plus rien autour de moi et fis quelques pas dans le vide. Je m’étais donc trompé, j’étais perdu dans un labyrinthe peut-être inextricable. Un pas de plus, j’allais me briser contre quelque roche ou dans quelque abîme. L’effroi me prit à la gorge ; j’eus envie de crier. La honte me retint ; mais le sentiment d’une mort affreuse me rendit aussi pusillanime qu’un enfant. Tu as voulu t’emparer de la destinée des autres, me disais-je ; tu étais valet, tu n’as reculé devant rien pour devenir moralement le maître d’existences plus éle-