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que M. de Flamarande avait besoin de distraction pour sa santé, et elle l’entourait d’hommes nuls et de femmes tarées. Il y avait du luxe chez eux, mais pas de manière à faire craindre que le capital de M. le comte fût entamé. Cette femme n’aimant que la dépense paraissait ne pas songer à capitaliser pour son compte.

Je vis ces choses à Londres une fois que je dus m’y rendre pour entretenir M. le comte des affaires de ma gestion. Il eut toujours la haute main sur l’éducation de Roger, qui ne fut point mis au collège et suivit seulement des cours, accompagné de son précepteur. Ce précepteur était toujours l’abbé Ferras, un homme très doux et très patient, manquant d’initiative en toutes choses et ne prenant point à cœur ce qui se passait autour de lui. Il ne songeait qu’à ses travaux de bibliophile, c’était là son unique passion. À la campagne, quand Roger prenait peu ou point ses leçons, le brave homme s’en consolait en travaillant à d’interminables catalogues. À Paris, sitôt qu’il avait accompli sa tâche quotidienne auprès de l’enfant, il allait bouquiner sur les quais ou sous les arcades de l’Odéon.

Il m’était facile de voir que Roger n’apprenait absolument rien avec lui. Sans les soins de sa mère, il eût été un parfait ignorant. Madame assistait à ses leçons et les prenait pour son compte, après quoi, elle les lui remâchait sous diverses formes jusqu’à ce qu’elle vît qu’il avait compris. Alors elle le laissait tranquille, car d’espérer qu’il se donnerait la peine d’écouter de lui-même et de résumer quoi que ce soit par un effort de sa volonté eût été illusoire. L’effort du cerveau lui était inconnu, on s’était donné trop de mal pour lui en épargner un peu. Il comptait là-dessus, et disait naïvement à l’abbé : Pourvu que maman comprenne, c’est tout ce qu’il faut.

M. de Flamarande avait paru chérir son fils dans les premières années ; mais, quand il le vit si léger, si impétueux au plaisir et si peu capable de raisonnement suivi, il le mortifia par ses reproches ironiques. L’enfant prit peur de lui, et la peur est un éloignement. A mesure que les absences de son père prirent plus de fréquence et de durée, il l’oublia si bien qu’il était comme étonné quand il le revoyait. Le comte trouva donc froid et gauche cet enfant si expansif, si aimable et si séduisant avec les autres. Il eût aimé à être fier de lui, et il ne voyait de lui que ses défauts. Peut-être songea-t-il à l’emmener pour l’instruire à sa guise, mais madame parut résolue à le suivre, et sans doute la femme illégitime n’eût point goûté cet arrangement. Il n’en fut plus question.

J’avais résolu de ne parler jamais de moi que quand je serais mêlé aux événemens de la famille de Flamarande, et, comme il ne s’en passa pas de remarquable durant les premières années de ma gestion, je comptais me passer sous silence depuis ce moment jus-