Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
265
FLAMARANDE.

siez que mon mari était en proie à un accès de folie. Quand il demanda à voir l’enfant, cette nourrice crut qu’il voulait… Ah ! mon Dieu, c’est affreux ! mais elle m’a dit que vous l’observiez et que vous avez sauvé mon fils. Après cela, comment ne vous aimerais-je pas, Charles ? Vous avez été bien habile à dissimuler, c’est vrai, vous m’avez laissé souffrir bien cruellement ; mais j’ai compris votre silence. Le jour où j’ai connu les faits, j’ai vu pourquoi vous aviez caché mon fils à Flamarande, et je sais que tout a été combiné par vous dans son intérêt et dans le mien. Vingt fois j’ai été sur le point de vous en remercier, mais votre attitude et votre regard me disaient clairement : Ne me parlez pas, vous feriez échouer mon dévouaient, — ou peut-être étiez-vous engagé par serment avec mon mari, et je ne devais pas détourner de son devoir un homme si généreux et si austère ; mais vous m’avez crue aveuglée, injuste, ingrate, vous me l’avez fait sentir une fois… J’aurais dû pailer ; que de chagrins cela eût pu épargner de nous entendre ! c’était impossible alors, je ne savais pas tout, je ne vous connaissais pas assez. Je ne suis pas méfiante, mais il s’agissait de mon fils, et vous comprenez que pour un fils on soit capable de faire violence à tous ses instincts comme à toutes ses idées ; puis j’ai cru plus tard que vous teniez à ne pas être interrogé. Depuis longtemps déjà je vous vois réservé, sombre et soigneux de m’éviter. Je m’en inquiète, Roger s’en alarme,… et hier je vous rencontre dans ces rochers faisant la figure d’un homme qui a de mauvais desseins contre lui-même. J’ai eu très peur pour vous, voilà pourquoi je vous ai demandé de m’accompagner, bien que je n’eusse en aucune façon le vertige. Allons, mon brave Charges, il faut à présent vous réconcilier avec la vie ; vous vous ennuyez, vous vivez trop seul, vous vous persuadez que personne ne vous apprécie et ne s’intéresse à vous ; vous vous trompez, vous êtes très cher à Roger,… et à moi encore plus. Voici ce que je vous propose d’accepter… — Et comme je faisais un geste de crainte : — Oh ! n’ayez pas peur ! je ne vous offre aucun don, je vous connais ! Je veux seulement changer votre genre de vie, qui vous pousse à la consomption. Je veux que vous soyez notre hôte de tous les jours, c’est-à-dire que vous veniez dîner avec moi, Roger et M. Ferras. Vous ferez ensuite votre partie d’échecs. J’apprendrai, cela m’intéressera beaucoup. Ne résistez pas. Je sais ce que vous voulez dire : M. de Flamarande blâmera cette intimité. Il sera très facile de la suspendre pendant les rares et courtes apparitions qu’il fait ici, et si quelque autre personne s’offusque de me voir traiter amicalement l’homme savant et doux qui forme l’intelligence de mon fils, l’homme délicat et dévoué qui dirige les intérêts de sa vie matérielle, je vous assure que je ne me donnerai