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FLAMARANDE.

avait mangé seul. Le brave homme, admis en même temps que moi et miss Hélène à l’intimité de la comtesse, ne montrait ni surprise ni satisfaction, ni embarras, ni déplaisir, ni curiosité. Peut-être était-il dans la confidence de quelque secret ; peut-être était-il gagné à la cause de Gaston et chargé de me pénétrer ; peut-être était-il l’insouciance même.

Nous fûmes servis par le groom que dirigeait miss Hurst. Cela ressemblait à une dînette d’écoliers prise en cachette du règlement. Évidemment madame voulait, en changeant ses habitudes et les nôtres, se ménager l’occasion incessante de parler avec moi de ses joies ou de ses peines maternelles. Elle fut adorable de bonté, Roger étincelant de gaîté. L’abbé parut fort à l’aise. Hélène, occupée de nous tous, ne parut pas songer à elle-même. Je remarquai que la comtesse la traitait comme une amie ; celle-là, je n’en pouvais douter, était dans toutes les confidences.

Après le dîner, madame alla au jardin, et chacun de nous à ses affaires ; mais elle exigea que la partie d’échecs eût lieu au salon de huit à dix heures, comme elle avait lieu ordinairement chez moi. Cela fut réglé une fois pour toutes. Roger voulut essayer ce jeu sérieux et faillit en devenir fou. Il y renonça vite. Madame essaya aussi par complaisance ou par politique. Elle y prit goût et devint en peu de temps d’une très jolie force. Quand je la gagnais, c’est qu’elle le voulait bien. Il venait rarement du monde le soir, et dans ces cas-là l’abbé et moi nous voulions nous retirer ; elle nous obligeait de rester et de faire notre partie dans un coin. Je dois dire que personne ne fut scandalisé de me voir au salon. Ma réputation de probité et de savoir-vivre était établie dans le pays. Il y avait déjà quinze ans que l’on m’y connaissait.

Je m’étais attendu à des questions, à des insinuations, à de fausses confidences. Il n’en fut rien ; madame ne me reparlait plus d’aucune chose secrète. J’avais refusé de me laisser interroger sous le coup de la première émotion, et, comptant qu’on y reviendrait, j’avais depuis préparé mes réponses ; mais madame se le tint pour dit et n’y revint pas, ce qui semblait être un témoignage de haute déférence pour mon caractère. Elle causait d’autres choses avec moi, absolument comme elle eût fait avec son pareil, et jamais je ne surpris le moindre effort pour influencer mes idées au profit des siennes. Ce n’était pas une bienveillance particulière pour mon petit entendement ; elle était la tolérance même, et tout le monde avait depuis longtemps remarqué que son genre d’esprit ou son caractère était tout l’opposé de ceux de son mari. Elle haïssait la dispute et permettait tout au plus la discussion. Elle était toujours et d’autant plus modeste qu’elle était devenue plus instruite, car