élevé dans la solitude par un savant, qui est aussi un philosophe religieux.
Voyant approcher l’époque de notre rendez-vous annuel, il se proposait de descendre au Refuge ; mais j’ai voulu le surprendre dans son chalet, où Ambroise m’a conduite à l’entrée de la nuit. Il faisait un temps magnifique. Toutes les bonnes senteurs de la forêt et de la prairie montaient vers nous, les ruisseaux chantaient des hymnes de réjouissance, et mon cœur chantait avec eux. J’envoyais des tendresses aux étoiles, qui sont si belles dans ce pays-là ; je suis comme folle toutes les fois que j’approche de mon cher fils exilé. Il ne m’attendait pas encore, il dormait. Les chiens ont fait peu de bruit. Ambroise, qui les connaît, les a vite apaisés, et il est descendu dans cette baraque, qui est une espèce de cave creusée dans le rocher avec un toit de planches au-dessus. Il s’est assuré que Gaston y était seul et l’a doucement averti. Ah ! Charles, si vous aviez entendu le cri de son cœur dans son premier réveil ! Le mien en a été si pénétré que j’ai béni Dieu de me donner de pareils momens de bonheur au milieu de mon infortune. Il a gravi son échelle, il s’est élancé vers moi d’un seul bond, comme un daim qui sort de son refuge. Il y a longtemps que vous ne l’avez vu, Charles ; vous ne pouvez pas vous figurer comme il est beau ! Il est peut-être encore plus beau que Roger ; il a des yeux de diamant noir, des cheveux de soie tout naturellement frisés, un sourire imperceptible qui a des profondeurs inouies de sympathie et de compréhension. Il n’a pas encore la moindre barbe, et il est plus petit que Roger, qui pourtant a l’air moins fort et moins homme que lui. Gaston n’est pas non plus, à beaucoup près, aussi démonstratif, il a la gravité et la retenue du paysan. Il ne m’étouffe pas de baisers comme son frère, il se couche à mes pieds et colle ses lèvres à mes mains ; mais j’y sens ses larmes, et dans un simple mot de lui il y a plus que dans un torrent de paroles charmantes.
Je l’avais à peine embrassé qu’Ambroise, qui faisait le guet, est venu me reprendre pour me cacher. Deux autres vachers arrivaient avec un troupeau de chez Michelin pour prendre la place d’Espérance, qui, comptant me voir au Refuge, avait annoncé une absence de quelques jours.
L’échange des paroles et l’installation des animaux m’ont paru bien longs. J’entendais la voix de mon fils dominer avec autorité les autres et les plaintes des bêtes impatientes, et cette voix de pasteur montagnard me semble toujours si étrange dans sa bouche ! Je l’écoutais avec stupeur, je le regardais agir. Quelle énergie ! J’avais peur pour lui, car les vaches étaient pressées de revoir leurs veaux enfermés dans une grande étable, et elles menaçaient de