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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/308

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sans vie, et tous les autres atomes sans plus de vie que des grains de poudre à fusil et dont vous dites que le cerveau est composé. Imaginez-les séparés et inanimés, puis s’associant, se mélangeant et formant toutes les combinaisons possibles. Tout cela, tout ce mouvement purement mécanique est visible aux yeux de l’esprit. Mais pouvez-vous voir, pouvez-vous imaginer, rêver d’une façon quelconque ce qui fait que de cette action mécanique, de ces atomes sans vie, se dégagent la sensation, la pensée, l’émotion? Allez-vous extraire l’Iliade d’un cliquetis de dés ou le calcul différentiel d’un entre-choquement de billes? Je ne suis pas tout à fait dépourvu de cette faculté représentative dont vous parlez, et je ne suis pas non plus, comme plusieurs de mes collègues, absolument étranger aux connaissances scientifiques. Je peux suivre une particule de musc jusqu’au moment où elle atteint les nerfs olfactifs; je peux me figurer les ondes sonores jusqu’à ce que les ondulations atteignent l’eau du labyrinthe et qu’elles affectent les otolithes et les fibres de Corti; je peux me représenter de même sous forme sensible les ondes de l’éther, jusqu’au moment où elles traversent l’œil et touchent la rétine. Je dirai plus, je suis capable de poursuivre jusqu’à l’organe central le mouvement imprimé à la périphérie et de voir en idée les molécules du cerveau vibrer à son contact. Mon intelligence n’est nullement confondue par cette série de phénomènes physiques. Ce qui me confond, ce qui me renverse, c’est votre assertion que de ces trémoussemens physiques sortent des choses aussi parfaitement disparates que la sensation, la pensée et l’émotion. Vous me direz ou vous penserez que cette émergence de la conscience, due à un entre-choquement d’atomes, n’est pas plus disparate à ses antécédens que le jet de lumière qui suit la réunion de l’oxygène et de l’hydrogène. Pardonnez-moi; ce jet lui-même est disparate, et je vous prie d’y faire bien attention. Ce jet de lumière est, en tant que lumineux, un. fait de conscience dont la contre-partie objective est simplement une vibration. Il n’est jet de lumière que par votre interprétation. C’est vous qui êtes cause du disparate, et c’est vous, votre moi qui m’embarrasse. Ai-je besoin de vous rappeler que le grand Leibniz sentit comme moi cette difficulté, et que, pour échapper à cette monstrueuse déduction qui veut faire sortir la vie de la mort, il remplaça vos atomes par ses monades, miroirs plus ou moins parfaits de l’univers, de la somme et du développement desquels il supposait que proviennent tous les phénomènes de la vie, de la sensation, de l’intelligence et du sentiment?

« La difficulté dans laquelle vous vous trouvez engagé est donc tout aussi grande que la mienne. Vous ne pouvez satisfaire l’intelligence