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de prêtre étranger, espagnol autant qu’on en pouvait juger par un léger accent. Il était ponctuel, doux, calme, nullement fanatique, et muet comme un coffre avec les gens de la maison. Impossible de savoir s’il plaisait ou déplaisait à madame. Il avait été choisi par monsieur ; il n’y avait pas de conflit apparent au sujet de l’éducation de Roger.

L’enfant demeurait toujours auprès de sa mère. Il prenait ses leçons dans le salon particulier de madame, et l’abbé le promenait quand elle ne pouvait pas sortir. Il prenait ses repas avec elle. L’abbé logeait et mangeait dehors. À partir de six heures du soir, on ne le voyait plus. Il demeurait fort près de nous ; mais je savais qu’il ne rentrait à son logis que vers dix heures du soir.

Inquiet de la disparition de madame, car il y avait quatre jours déjà qu’elle ne bougeait pas, je me décidai à interroger l’enfant un matin que je le trouvai galopant sur son cheval de bois dans la galerie. Il parut surpris de mes questions : — Maman va bien, me dit-il, elle est au lit.

— Est-ce qu’elle mange un peu ?

— Certainement. Comment vivrait-elle, si ne elle mangeait pas ?

— Vous déjeunez toujours avec elle ?

— Non, depuis… depuis je ne sais pas combien de jours, elle mange dans son lit, et moi avec Hélène dans le salon.

— Mais vous la voyez souvent, tous les jours ?

Roger me regarda, étonné et confus, comme si je le faisais ressouvenir de sa mère absente et déjà oubliée. — Je vais l’embrasser, me dit-il, et il sortit en courant.

Je ne le retins pas. Il me répugnait de faire constater par ce cher enfant l’absence de sa mère, ou de l’amener à la trahir. Je le revis dans la journée et ne lui demandai rien. Je me reprochais d’en avoir déjà trop dit. Je me rassurai en le retrouvant gai et pétulant comme à l’ordinaire.

Deux jours se passèrent encore ainsi. Le cuisinier préparait les minces repas de la malade. Le valet de chambre de madame les portait dans l’antichambre et les remettait à Hélène, qui déposait les assiettes vides au même endroit. Les visites étaient consignées à la porte sans exception. On avait ordre de dire que madame était sortie et même partie pour la campagne. Le médecin vint et s’en retourna, la croyant guérie.

Le lendemain, Roger vint à moi dans la galerie, il avait l’air soucieux, et j’en fis la remarque. — Dis-moi, s’écria-t-il en me jetant les bras au cou, si quand une personne est malade, c’est qu’elle est fâchée ? — Et, comme je ne comprenais pas, il ajouta : — Maman ne veut plus que je la voie et que je l’embrasse.