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leurs intrigues. Sur ces entrefaites, et pendant que Napoléon est à Schœnbrunn, a lieu la descente des Anglais dans les Pays-Bas. Anvers est menacé. D’Anvers à Paris, la route est presque ouverte. Aussitôt, pour se préparer un rôle et s’assurer une force dans le cas d’un événement qui mettrait le sort de la France en question, Fouché prend sur lui d’appeler aux armes la garde nationale de l’empire, d’en mobiliser une partie, d’en nommer les officiers et de pousser Bernadotte à en demander le commandement. Fouché, ministre de la police, était à cette date ministre de l’intérieur par intérim ; il profitait de la circonstance pour armer la milice nationale comme aux journées de la révolution. Ce grand zèle parut suspect à son collègue le ministre de la guerre. C’était le général Clarck, homme d’ordre et d’inclinations aristocratiques, dit Ségur, qui, détestant les antécédens de Fouché, se défiait de lui comme d’un jacobin. Clarck écrivit à l’empereur pour lui faire, part de ses inquiétudes. Napoléon, du palais de Schœnbrunn, régla tout comme s’il eût été aux Tuileries, mettant chaque chose à sa place avec une précision mathématique. S’il envoya Bernadotte dans les Pays-Bas, ce fut pour l’éloigner de Paris ; il ne plaça d’ailleurs sous ses ordres que des officiers incorruptibles, lieutenans d’un nouveau genre qui sur le moindre signe seraient devenus des surveillans et au besoin des gardiens. Quant à l’appel de la garde nationale, il approuva, il excita même cette démonstration, qui accroissait l’idée de sa puissance et de ses moyens de recrutement. Il est vrai qu’il ne s’agissait d’abord que d’un appel partiel ; lorsque Fouché, continuant son jeu, étendit cet appel à tout l’empire, bien que le danger n’existât plus du côté de la Belgique, l’empereur conçut enfin quelques soupçons. Il blâma Fouché, il le blâma surtout d’avoir prétendu choisir les commandans supérieurs de la garde de Paris, il exigea enfin que Fouché rétractât une de ces nominations, celle du colonel de la garde à cheval, M. Louis de Girardin. Ici Philippe de Ségur entre en scène, laissons-lui la parole :

« J’étais alors sur pied et à peu près rétabli de mes blessures, lorsque le 9 ou le 10 septembre Clarck me fit appeler. « Vous voyez, dit-il, ce qui se passe. Fouché vient de lever dans Paris trente mille hommes. Il arme le peuple, des domestiques même. C’est une levée de 93 qu’il veut avoir sous la main ! Il se prépare à jouer un grand rôle dans des cas prévus, tel que celui d’un mal plus grave que l’indisposition dont l’empereur vient d’être atteint, ou d’une blessure plus sérieuse que celle de Ratisbonne, ou d’un revers plus complet que celui d’Essling. Trente mille hommes armés dans Paris ! Mais il y faudrait une armée pour nous garder de cette garde ! Et il en continue en dépit de nous l’organisation : il en a nommé les officiers, quoiqu’il sache bien que l’empereur s’en est