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gouverneur de Rome fut révoquée aussitôt, et Fouché dut partir pour l’exil. Certes ce n’est pas Ségur qui pouvait regretter la disgrâce de Fouché ; il remarque pourtant que Savary, le successeur du ministre jacobin, n’était pas de force à rendre les mêmes services. Fouché, en de certaines occasions, savait faire entendre la vérité à l’empereur, non par dévoûment à coup sur, mais par intérêt personnel, comme un habile homme qui sur un navire menacé donne des conseils au pilote. Napoléon, dans le mouvement qui l’emporte, n’aura plus même ce contre-poids d’un avis franchement exprimé. L’adresse clairvoyante de Fouché se trouve remplacée par le dévoûment aveugle de Savary, et, au lieu des libres conseils de Talleyrand, l’empereur n’aura plus aux affaires étrangères que l’obéissance fanatique de Maret. Les barrières, si faibles pourtant, sont devenues gênantes : désormais il n’y aura plus de garde-fou. Tout cela est indiqué par Ségur avec autant de discrétion que de force. Lorsque l’empire en 1811 s’enrichit de perspectives éblouissantes, lorsque le roi de Rome vient au monde le 20 mars, savez-vous ce que le loyal témoin aperçoit dans toutes ces promesses d’avenir ? Une féerie. C’est le ciel qui se joue de la vanité humaine, exaltant notre orgueil pour rendre notre chute plus forte et plus imprévue. Ajoutez à cela ses paroles sur les violences infligées au saint-siège. Comme il la juge bien, sans étroitesse d’esprit, sans fanatisme ultramontain, simplement en sage et en politique, cette entreprise du dictateur « de transporter près de Paris, sous sa main toute temporelle, et d’y retenir vassale la puissance spirituelle du chef de l’église ! » Il n’insiste pas, mais, chaque fois que ce sujet revient sous sa plume, il emploie le mot « énormité. »

Écoutez-le aussi parler avec effroi de « ces trois cent quatre-vingt mille hommes, de nos forces les plus vives, qui s’usaient dispersés dans le gouffre de la péninsule ibérienne. » Enfin, lorsqu’il arrive à 1812, qui donc a montré avec plus de précision l’épuisement de la France ? On assiste chez l’historien au combat intérieur le plus touchant, sa fidélité cherchant des excuses à tout, sa loyauté ne pouvant se résoudre à ne pas tout dire. De là, dans ce récit, une impression si dramatique lorsqu’il nous montre l’empereur obligé de prendre des mesures violentes contre soixante mille conscrits réfractaires, obligé de les faire traquer, saisir, confiner dans nos îles, puis de les envoyer par eau à Davout pour éviter les désertions en route. Ségur ne se borne pas à rappeler ces faits que l’histoire officielle a dissimulés comme elle a pu, il signale aussi « les excursions, les révoltes, les répressions sanglantes, résultat de ces mesures, et la nécessité d’organiser les trois bans de la garde nationale. » Ne croirait-on pas lire un commentaire du poète des