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à nos lecteurs. Il y a pourtant, à travers tant de prodiges, un jour, une heure qui appartient tout entière à Ségur. C’est la soirée du 13 mars 1814, la charge des gardes d’honneur dans le faubourg de Reims. Vainqueurs d’abord des Russes et des Prussiens, écrasés ensuite par les forces ennemies, car ils avaient compté sur un secours qui n’arriva point, les jeunes cavaliers de Ségur, entraînés par leur chef, renouvelèrent, mais plus utilement cette fois, l’héroïsme de Sommo-Sierra. Ils laissèrent bien des morts et bien des blessés sur le champ de bataille, des rangs entiers tombèrent, Ségur reçut une balle dans le coude et plusieurs coups de baïonnette qui le renversèrent dans un fossé pêle-mêle avec ses hommes ; il se releva bientôt, et la ville fut prise. Une chose admirable, c’est la simplicité de son attitude, quand il retrouve l’empereur sous les murs de Reims une heure plus tard, après que cette trouée sanglante eut donné passage à l’armée. Irrité de certaines fautes de ses lieutenans qui avaient retardé la prise de la ville, ignorant qu’il doit ce succès à l’héroïsme de Ségur, l’empereur l’interroge vivement sur la position de l’ennemi, sur ses forces, sur l’exécution de tel ordre qu’il a donné, lui adresse enfin vingt questions auxquelles Ségur ne peut pas répondre, et, sans lui laisser le temps de dire ce qu’il sait, ce qu’il a vu, ce qu’il vient de faire, le congédie brutalement. Ségur retourne à ses camarades, et bientôt le sang de ses blessures, dont il ne se plaignait point, le dénonce à Yvan, qui se trouve là. Yvan se hâte de le panser, comme à Sommo-Sierra. C’était vers deux heures du matin, dans la nuit du 13 au 14 mars, au moment où l’empereur entrait à Reims. L’empereur demande quel est cet officier blessé autour duquel on s’empresse, et, comme le nom de Ségur est prononcé : « C’est faux ! s’écrie-t-il, je viens de lui parler. » L’homme qui venait de lui parler en effet était resté debout malgré de cruelles blessures, il avait tenu à faire son rapport avant de songer à lui-même. Dès que Napoléon eut pénétré dans le faubourg, à la vue des jeunes gardes écrasés en ce terrible choc, au milieu de tant de morts et de mourans, il comprit ce qu’il devait à Ségur. Il avait à réparer des brusqueries bien injustes, ce fut le bulletin de la journée qui s’en chargea. L’empereur y signala « les gardes d’honneur du 3e corps et notamment leur général, » ajoutant que la prise du faubourg de Reims était due à leur puissant effort, « une charge superbe où ils s’étaient couverts de gloire. »

Les blessures de Sommo-Sierra avaient empêché Ségur de prendre part à la campagne de 1809, les blessures de Reims l’empêchèrent de prendre part jusqu’au bout à la campagne de 1814 et de voir les derniers succès de l’invasion. Arraché de l’armée par ses