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à l’embouchure du bras de Kilia, le plus septentrional du delta.

Dans ces limites, la superficie de toute la contrée est de plus de 12 millions d’hectares, dont la Valachie peut revendiquer les trois cinquièmes. Elle approche ainsi du quart de celle de la France, tandis que la population, presque de moitié plus faible en densité, n’excède pas 5 millions d’âmes. Ce chiffre ne représente d’ailleurs qu’une évaluation approximative basée sur un recensement très incomplet et très défectueux de l’année 1859, et dans laquelle on a tenu compte de l’accroissement probable déterminé par l’excédant annuel des naissances sur les décès ainsi que d’une très forte immigration d’étrangers, mais surtout de Juifs de la Pologne russe et autrichienne. Cette affluence a été telle que l’on n’a pas cru pouvoir estimer, pour toute la Roumanie, à moins de 400,000 âmes le chiffre actuel de la population Israélite, en partie flottante, qui, échappant ainsi au contrôle, n’avait été portée que pour 134,000 sur le recensement antérieur. Cependant il faut observer aussi que cette ubiquité même des Juifs, en les faisant paraître plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité, pourrait avoir conduit à des exagérations en sens inverse. L’immense majorité de la population appartient au culte grec. On compte en outre dans le pays environ 50,000 catholiques romains, 30,000 protestans, plus de 8,000 Arméniens et autant de lipowans, nom que l’on y donne à des sectaires coutumiers d’une mutilation des plus horribles, qui ont cherché dans ce pays un refuge pour se soustraire à la rigueur des lois édictées contre eux par le gouvernement russe au sujet de cette pratique.

Les indigènes qui ont attaché leur nom au pays, les Roumains, comme ils s’appellent eux-mêmes en souvenir de leur origine première, forment certainement plus des quatre cinquièmes de la population totale. Des noms de Valaques et de Moldaves, ce dernier du moins n’a jamais été pris que dans le sens d’une distinction politique ou provinciale, la langue parlée non-seulement dans les deux principautés, mais aussi dans plusieurs contrées voisines, ayant été, à part quelques légères différences de dialecte, la même de tout temps. La Roumanie actuelle ou proprement dite n’est donc pas la seule patrie des Roumains : il en existe près de 3 millions vivant sous la domination autrichienne, dans le Banat, la Transylvanie et la Bukovine, près de 1 million sur le territoire russe, en Bessarabie, et peut-être 1 million ½ disséminés en Serbie, dans les provinces turques riveraines du Danube, en Macédoine et en Thessalie. Ensemble, ces branches disjointes d’un peuple homogène de race et d’idiome formeraient un total de près de 10 millions de Roumains. Tous ne descendent pas cependant, comme la grande majorité de ceux de la rive gauche du Danube, des colons latins que Trajan, après la conquête de la Dacie, établit dans cette région,