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par le Brésil à propos du Paraguay, vaincu en commun? En dehors de son mérite reconnu de diplomate, il pouvait se prévaloir de l’amitié des personnages politiques du Brésil, du souvenir d’une guerre faite sous son commandement, enfin de ses relations personnelles avec l’empereur dom Pedro II.

Le docteur don Adolfo Alsina, fils de l’ex-gouverneur de la province de Buenos-Ayres, lui-même ancien gouverneur de cette province et vice-président sortant de la république, administrateur énergique, mais non encore mis hors de pair comme homme politique dans ces postes secondaires, avait surtout de l’importance en ce qu’il représentait, à proprement parler, le parti des audacieux : prêt à s’emparer du pouvoir et à le garder, entouré d’inconnus avides d’ambition ou de nécessiteux avides d’emplois. Ce parti nouveau n’était pas sympathique aux étrangers; sa vraie tendance est de s’opposer à leur envahissement. Inconnu aux provinces, Alsina leur était naturellement suspect, étant fils de Buenos-Ayres; ici seulement il était connu et pouvait compter sur un certain nombre de partisans, mais surtout sur les voix que pourrait lui conquérir son audace.

Candidat d’une politique moins nettement accentuée, le docteur Nicolas Avellaneda voyait sa candidature silencieusement appuyée à Buenos-Ayres par quelques amis. C’était un provincial, un arribeño[1]. Né à Tucuman, avocat brillant, homme d’une grande valeur, jeune, entrant en ligne peut-être avant son heure pour ce poste élevé, connu des lettrés, il était presque ignoré de la masse des électeurs de Buenos-Ayres, bien qu’il y eût été ministre à vingt-trois ans et publiciste remarqué à dix-neuf. Son nom avait beaucoup plus de signification dans les provinces, et si à Buenos-Ayres on pouvait aisément compter ses discrets partisans, dont le nombre n’atteignait pas une douzaine, il était l’homme désigné des provinces, l’arme de ceux qui n’ont pas encore accepté la suprématie de Buenos-Ayres; à ce titre il devait triompher, si toutes les raisons qui militaient en faveur du général Mitre s’effaçaient devant la vieille jalousie des arribeños.

Dès les premiers jours de la lutte électorale, il fut facile de prévoir que ce candidat tiendrait en échec le général Mitre, fût-il seul, mais qu’en tout cas son triomphe était assuré, étant donnée la division des voix de Buenos-Ayres entre le général Mitre et le docteur Alsina. La lutte fut ardente; cependant au milieu de ces ardeurs mêmes la personnalité de M. Avellaneda sembla disparaître, comme s’il se fût désintéressé d’un combat qui ne pouvait que tourner à son

  1. Nom donné aux habitans des provinces : gens d’en haut (arriba).