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Ces personnages s’agitant pour des questions obscures qui ne sauraient l’atteindre lui semblent autant d’ennemis de son activité lucrative; il produit, et tout trouble politique compromet sa production. Si la politique est un mal local dont souffrent plus ou moins tous les peuples, l’ambition politique est un mal pire encore dont les hommes ne consentent pas aisément à subir les atteintes funestes hors de chez eux. Il s’ensuit que l’étranger est aujourd’hui l’obstacle à des révolutions nouvelles, et par lui ces républiques sud-américaines seront sauvées de ces luttes incessantes, devenues aussi illogiques qu’inopportunes.

Cependant il serait injuste de penser que les révolutions, aujourd’hui nuisibles au progrès de ces républiques, l’aient toujours été. L’Europe s’est longtemps fatiguée d’entendre parler des révolutions du Sud-Amérique, et confondant entre elles toutes ces républiques, sans avoir même une idée exacte de leur géographie, elle pourrait moins encore comprendre leurs mouvemens et leurs soubresauts politiques. Pour s’en faire une idée exacte, il faut se reporter à la manière brusque dont toutes ces républiques ont eu à se fonder, à se constituer, quelle a été leur éducation politique première. Il faut se rendre compte de leur jeunesse; aucune d’elles n’a atteint l’âge mûr des peuples, la plus ancienne a soixante années à peine, et presque toutes sont déjà guéries de leurs défauts de jeunesse. En 1812, l’indépendance subitement proclamée de ces républiques, qui profitent de la complication des affaires d’Espagne et de la guerre entreprise par Napoléon, créait des citoyens libres, mais sans aucune notion de science politique, embarrassés encore au milieu du réseau inextricable de la législation et des coutumes de la vieille Espagne coloniale. Pas d’hommes d’état; quelques grands hommes comme Bolivar, San-Martin ou Rivadavia étaient des exceptions et ne suffisaient pas à former un peuple, une législation et une société nouvelle. Prompts à repousser les hommes qui avaient participé au gouvernement de l’orgueilleuse et inhabile Espagne, ils n’étaient pas en mesure de les remplacer; leur audace n’allait pas même jusqu’à jeter au feu constitutions et lois espagnoles, ils se proclamaient en république indépendante, mais sans bien comprendre la portée du mot république et les conséquences légales de l’indépendance.

Cette situation se prolongea pendant une première période de vingt ans, et devait aboutir, par des bonds successifs, des essais de république, des tentatives de restauration monarchique qui conduisirent Rivadavia lui-même en Espagne pour y chercher un roi introuvable, à une dictature quelconque. Le pays ne pouvait pas en rencontrer de pire que celle de Rosas; mais ces vingt années de despotisme