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beaucoup mieux que toi, — j’ai thésaurisé. Gaston sera mon héritier, il ne trouvera pas de dettes et n’aura à partager avec personne. Si Mme de Flamarande veut bien y consentir, je donne suite et fin aux démarches que j’ai déjà faites, non pour le reconnaître, je n’ai pas ce droit-là, mais pour l’adopter, comme la loi m’y autorise.

— C’est différent, répliqua Ambroise. Pourtant le nom… Les nobles tiennent au nom !

— Tu sais bien que M. Alphonse a toujours été le marquis de Salcède, et j’ajouterai, si cela te touche, que mon père était grand d’Espagne de première classe.

— Je ne sais pas ce que c’est, reprit Ambroise, et ça m’est égal. Du moment que mon gars Espérance sera aussi bien partagé que son frère, je ne dis plus rien et je lève la main en promesse de ne dire jamais un mot ni à lui ni aux autres.

Ainsi se termina la conférence. Nous étions tous contens, sauf la pauvre madame, qui paraissait accablée et qui nous serra la main en silence avec ses grands yeux pleins de larmes. Je me retirais avec Yvoine lorsque je me sentis toucher légèrement l’épaule dans l’obscurité, et, me retournant, je vis une femme qui me faisait signe de la suivre. Je crus que c’était Hélène qui avait quelque chose à me demander pour le service de madame. Je la suivis vers le donjon ; mais là elle s’arrêta et me dit tout bas : — J’ai à vous parler, où pourrions-nous être seuls ?

Je reconnus Mme de Montesparre et la priai de me suivre. Je lui fis traverser les étables et passai devant la crèche où jadis j’avais déposé Gaston. Dans cette saison, les animaux étaient encore avec les chiens dans les pâturages de la montagne. Au bout de l’étable s’ouvrait une porte donnant sur l’ancien parc. Quand nous fûmes assez loin des bâtimens : — Monsieur Louvier, me dit la baronne, j’ai des choses très délicates, mais très sérieuses à vous dire. C’est peut-être un peu tôt, c’est même beaucoup trop tôt, mais je ne puis différer. Il faut que je donne suite à un projet qui m’apparaît comme le meilleur de tous, le seul qui ne sacrifie personne… que moi ! Je sais combien on peut compter sur votre caractère et sur votre bon jugement. Vous avez ici la confiance de tous, je veux vous donner aussi la mienne, si vous voulez bien l’accepter.

Je répondis que cette confiance m’honorait infiniment, et Mme de Montesparre, qui était fort animée, me parla ainsi :

— Je sais, monsieur Louvier, que vous avez eu connaissance des lettres écrites autrefois par moi à votre maîtresse, et qui furent interceptées par son mari. D’ailleurs vous étiez chez moi au moment de la terrible dispute entre M. de Flamarande et M. de Salcède.