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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/500

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dans le même style. C’est là qu’ordinairement Michelin écrivait et tenait ses comptes. Il avait déménagé ses papiers pour céder la place au maître attendu, et l’appartement bien nettoyé était assez confortable. La salle à manger ne servait au fermier que dans les grandes occasions. Tout était donc fort bien tenu et aussi bien conservé que possible. Michelin occupait comme autrefois avec sa famille l’étage au-dessus, qui était assez vaste et divisé en plusieurs pièces ; mais cette famille, malgré le mariage et le départ de deux des filles, était encore trop nombreuse pour qu’il y eût place pour Ambroise dans ce corps de logis. Je montai pourtant avec précaution, ayant un prétexte tout prêt pour demander Ambroise. Je fus arrêté net par une servante qui, d’un air empressé, me demanda ce qu’il y avait pour mon service, et qui m’apprit qu’Ambroise couchait provisoirement dans le village. Il était parti, fallait-ii l’aller chercher ? Je refusai, j’étais tranquille. Ce n’était pourtant pas la vérité, cette fille se trompait. Ambroise, comme je le sus le lendemain, ne voulait pas quitter le manoir. Il était allé dormir sur le fourrage des étables.

Je rentrai dans ma chambre, j’ouvris les fenêtres sans bruit et je prêtai l’oreille. J’entendis la servante monter un escalier de bois sonore qui conduisait aux chambres des combles. Tout le monde était couché, sauf Michelin et les deux amoureux, puisqu’Espérance ne redescendait pas ; mais toutes les fenêtres étaient fermées, et il me fut impossible de saisir un mot. Une lune brillante se levait dans des nuages tourmentés et jetait sur les cours une lueur intermittente. Les chiens étaient dans la montagne avec les troupeaux, un seul, vieux, qui avait ses invalides, gardait encore la maison ; mais quand un bruit inusité le réveillait, il grognait sourdement et n’avait plus la force d’aboyer. Je l’avais caressé pour qu’il ne gênât pas mes mouvemens par sa méfiance ; il m’avait suivi et dormait à mes pieds sur une natte, nullement étonné de tant d’égards pour son grand âge et très disposé à en profiter.

Il y avait une chose que je ne savais pas, c’est que Capitaine, tel était le nom du chien, était très cher à Charlotte, qui le faisait coucher à la porte de sa chambre. Elle l’avait oublié ce soir de grande émotion, et Capitaine, qui était fort discret, attendait chez moi qu’elle songeât à l’appeler. Aussi quand je voulus me risquer à monter pour tâcher de saisir quelques paroles à travers la porte de Michelin, le diable de chien s’obstina-t-il à me suivre, croyant que je devais le conduire à sa maîtresse. Je voulus l’enfermer chez moi, mais il retrouva la vigueur de sa jeunesse pour gratter si furieusement qu’il me fallut rentrer et renoncer à mon projet.

J’attendis la sortie d’Espérance, qui n’eut lieu qu’au bout d’une heure. L’entrée du pavillon était à portée de ma vue. Charlotte le