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montant l’escalier qui conduisait chez elle, je vis que sa porte, — que j’avais fermée, — était ouverte, et j’allégeai mon pas, toujours fort léger, pour saisir ce qui se passait. Espérance, aussi fin et plus léger que moi, je dois le reconnaître, avait laissé en bas ses gros souliers. Il avait remonté l’escalier, guetté à propos et saisi le moment de rentrer sans être vu chez sa mère. Il était à ses pieds, et il lui disait : — Sois tranquille, je ne veux rien savoir, je suis heureux de t’adorer, je suis muet ! Sois prudente !

Je toussai pour l’avertir, il se sauva, je teignis de ne pas le voir. Je trouvai la comtesse sanglotant. — Ah ! toutes ces secousses vous brisent, lui dis-je. — Non, mon ami, répondit-elle ; à présent je suis soulagée, je l’ai embrasse, c’est de joie que je pleure. Cher enfant ! quelle âme, quel dévoùment ! quelle force de volonté ! Il est vraiment sublime !

— Madame n’a pas commis l’imprudence de lui dire…

— Rien, rien ! Il ne m’eût laisse rien dire. J’ai compris ce qu’il suppose, il se croit fils de M. de Salcède, et il en est lier.

— Qu’il le croie, m’ecriai-je. Oh ! madame, qu’il le croie, et puisqu’il est homme d’honneur, tout est sauvé. Il ne sait pas son âge au juste, à un an ou deux près, il peut l’ignorer. Qu’il ignore donc, au nom du ciel, qu’il est ne dans le mariage.

— Vous pensez toujours à préserver Roger d’un partage ? Oui. c’est votre idée fixe, mon bon Charles. Je ne vous en veux pas d’aimer Roger plus que lui…

— Je songe à quelque chose de plus important encore pour madame la comtesse. Si Gaston a vingt-trois ans, madame a aimé, étant demoiselle, un homme auquel ses pareils n’ont pas voulu l’unir. S’il n’en a que vingt et un, madame a manqué à la fidélité conjugale.

— Oui. Charles, vous avez raison, dit-elle avec un accent de fierté dédaigneuse, si j’ai ete une fille sans pudeur, ma faute en parait moins grave aux yeux de Gaston, puisqu’il faut que je mente et sois une mère coupable dans un cas ou dans l’autre. Ah ! que U. de Flamarande m’a fait un triste sort ! Je peux parler à cœur ouvert avec unis. Charles. Je lui aurais tout pardonné, même de m’enlever mon enfant et de me causer l’atroce desespoir de le croire mon : mais me condamner à rougir éternellement devant lui. cela, c’est plus cruel que tout ce que l’on peut imaginer, ei je veux croire que toutes les conséquences de son injustice n’ont pas ete prévues par lui-même.

— Je ne dis pas que M. le comte n’ait pas use de rigueur,… mais madame l’a dit elle-même, il faut laisser en paix une cendre à peine refroidie.

— Vous avez raison : parlons du sort de Gaston et non du mien.