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subtiles pour moi. Servir ceux qu’on aime est dans l’ordre des choses naturelles, et j’ai toujours servi ici mes parens adoptifs et leurs amis. À la campagne, le serviteur et le maître vivent en égaux, et la preuve, c’est que le valet de ferme épouse souvent la fille du fermier. Cela me fait penser à réparer un oubli, monsieur Charles, je ne vous ai pas demandé votre agrément pour épouser votre filleule, et à la campagne, où l’on prend les choses au sérieux, un parrain est un second père.

— Oh ! mon cher enfant, m’écriai-je, l’opposition ne viendra pas de moi ; mais est-ce donc une chose décidée que ce mariage ? Vous l’avez annoncé à Mme la comtesse, et pourtant le père Michelin, qui me consultait toujours autrefois, ne m’en a encore rien dit.

— Il vous en parlera certainement aujourd’hui ou demain, dès qu’il aura un instant pour respirer. Aujourd’hui il a eu fort à faire pour se débarrasser d’un prétendant auquel il n’avait pas dit non, un certain Simon, fils du meunier de Saint-Julien, un beau gars, riche pour un paysan, et qui rêvait d’épouser Charlotte. Il se trouve que je suis plus riche que lui, que Charlotte m’aime, et que le père Michelin aime sa fille et moi. Il m’avait donc fait jurer de ne parler à personne de sa promesse jusqu’à ce qu’il eût éconduit le pauvre Simon. À présent c’est fait, et la consigne es « t levée, mais pour les amis seulement. Je crois qu’en tout pays il est convenable de n’annoncer un mariage que quand il est prêt à se faire. Le mien n’aura pas d’empêchement, puisque je suis sans famille ; mais il y a quelqu’un que j’aime plus que ma vie, et que je dois consulter.

M. Alphonse ?

— Oui ; on vous a dit qu’il m’avait élevé ?

— Avec une grande tendresse.

— Je lui dois tout, car je lui dois mon âme, une âme qui eût peut-être dormi sans savoir prendre son vol. Il a toujours voulu mon bonheur, il le voudra encore. Je lui parlerai ce soir au Refuge, c’est-à-dire chez lui. Il m’a dit ce matin qu’il n’y serait pas de la journée.

Je conclus de cette parole dite avec une évidente bonne foi que M. de Salcède était au donjon, dans quelque chambre où ces dames le consultaient à tout propos, en secret, à moins qu’elles ne l’eussent déjà présenté à Roger comme un ami de la baronne. Je ne voulais pas interroger Espérance sur ce chapitre délicat ; mais, tout en causant, j’espérais l’amener avec adresse à me dire tout ce qu’il savait de sa situation. Il n’en savait pas long ou il était très fort. Il me fut impossible d’en rien tirer de plus qu’il n’en avait dit.

Roger nous surprit, Gaston faisant son feu, moi rangeant ses nippes. Il venait de se débarrasser de son habit noir, tous les visi-