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FLAMARANDE.

— Huit jours, c’est bien peu pour une pareille affaire !

— Huit jours, c’est beaucoup après un attachement de toute la vie.

— Monsieur de Salcède, au fond, je l’ai bien vu, et je le vois, vous êtes favorable à ce mariage.

— Oui, madame, mais je ne ferai rien, je vous le jure, je ne dirai pas un mot pour influencer Gaston.

— Vous savez qu’il a déjà parlé à Michelin ?

— Non ! Je croyais qu’il ne le ferait pas sans m’en prévenir.

M. de Salcède était ému et surpris. Je crus devoir prendre la parole pour me préserver de toute responsabilité. — Hier soir, lui dis-je, comme je rentrais par la poterne, j’ai entendu M. Gaston dire à Charlotte qu’il venait de recevoir de Londres une somme de quarante mille francs dont j’ignore la provenance. Elle ne peut être attribuée qu’à celui qui avait promis par lettre anonyme vingt mille francs aux Michelin pour l’éducation et l’établissement de leur pensionnaire.

Mme|de Flamarande sourit dédaigneusement à ce don de son mari.

— Après tout, dit-elle, ce pauvre denier lui est bien acquis ; mais qu’importe à sa résolution ?

— Je comprends, moi, dit M. de Salcède. Espérance, se voyant riche à son point de vue, et séparé de moi par le désordre qui a régné au château et à la ferme hier et aujourd’hui, s’est hâté de confier à Michelin le secret de sa fortune. De là à un engagement réciproque prématuré, il n’y avait qu’un pas, un pas très glissant quand un amour partagé pousse à la roue ! Je ne le gronderai pas, notre enfant. Je lui dirai de réfléchir, et il réfléchira.

— Ah ! dit la comtesse vivement, vous croyez !

— Oh ! ne vous y trompez pas, répliqua Salcède ; je crois, je suis sûr que ses réflexions le ramèneront à Charlotte.

— Et vous l’approuverez ?

— Oui, madame.

— C’est bien romanesque, monsieur de Salcède ; il est si jeune ! J’ai peur que vous ne soyez vous-même un père bien jeune pour mon fils.

Salcède se troubla un peu, mais se remit aussitôt. — Non, dit-il, je ne suis pas jeune ! C’est parce que j’ai des cheveux blancs qui représentent des années, doublées pour moi par des épreuves exceptionnelles, que je sais le vrai et le faux de la vie. Le seul vrai, c’est l’amour et le devoir ; tout le reste n’est qu’illusion et convention. Le fils que j’adopte est assez riche pour se marier selon son cœur, et son cœur ne s’est pas trompé en choisissant Charlotte. Avant de dire oui, il vous faudra la voir et la connaître. Revenez sans femme