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ces lèvres, traduite en vingt idiomes, formulée en autant de symboles différens.

Si le philosophe se complaît à l’idée de l’harmonie supérieure faite de toutes ces dissonances, le croyant est douloureusement distrait par les compétitions ardentes des communions rivales, cantonnées dans les différentes parties du monument. Quel voyageur, au spectacle de ces éternelles dissensions, n’a fait le rêve de voir tous les enfans de Jérusalem (dont le nom signifie en hébreu, par une étrange ironie, « l’héritage de la paix ») donner dans le premier temple de la chrétienté l’exemple de la concorde prêchée par leur maître ? Rêve bien naturel, mais dont les passions humaines au service des choses divines ne permettront jamais la réalisation ! On en peut du moins avoir l’illusion pendant la semaine sainte en entendant prêcher les mystères dans toutes les langues du globe. Le pèlerin qui parcourt alors les divers sanctuaires y rencontre des moines parlant simultanément au peuple en latin, en italien, en français, en grec, en arabe, que sais-je encore ? Les processions des divers rites se développent solennellement dans les détours de l’édifice, les Grecs dans le chœur éclatant d’ornemens d’or et de mosaïque, les Latins dans les ténèbres séculaires qui règnent sous les voûtes du nord ; trop souvent les pieuses armées, en se rencontrant, s’irritent, se querellent, se heurtent, leurs bannières pacifiques s’étonnent de les mener au combat, et le sang coule sur ces dalles qui en ont tant bu. C’est à cette même époque, dans la nuit du samedi saint, qu’on peut assister à la curieuse cérémonie du feu sacré des Grecs. Le patriarche, s’enfermant dans le saint sépulcre, communique par la lucarne à la foule impatiente qui emplit l’église depuis la veille le feu nouveau qu’un ange est censé lui apporter du ciel ; chacun se précipite pour allumer des premiers son cierge à la flamme céleste, et s’enfuit aussitôt pour la faire vénérer aux siens. Des cavaliers, venus de districts lointains, attendent, leurs chevaux sellés à la porte, pour rapporter une parcelle du feu sacré dans leur village. Une frénésie furieuse s’empare de cette turbulente foule grecque, des clameurs sauvages ébranlent la voûte : il est rare que cette cérémonie, legs évident du paganisme, s’achève sans accidens graves ; on se souvient de la catastrophe fameuse de 1833, où plus de 300 personnes périrent étouffées, où Ibrahim lui-même n’échappa qu’à grand’peine à la même mort.

La meilleure place, pour voir se dérouler ces curieuses scènes, est dans les galeries supérieures de la rotonde, qui communiquent avec le couvent latin et servent de promenoir aux moines ; les cordeliers espagnols y ont appendu les portraits de plusieurs de leurs rois. J’y trouve un Philippe II, mauvaise copie de la célèbre toile