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le schisme en se donnant un clergé et des temples séparés. Au midi, les populations gréco-arabes des patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, sans aller aussi loin que les races slaves, commencent à supporter impatiemment la domination du clergé hellène, et à attaquer la clé de voûte, l’autorité branlante du Phanar. La scission s’accuse chaque jour entre les fidèles arabes, qui n’entendent pas un mot à la langue liturgique, et le haut clergé venu de Constantinople, les moines de race hellène qui détiennent les immenses richesses des couvens de par l’autorité pontificale et défendent celle-ci en conséquence. Le patriarche Cyrille a eu le tort, aux yeux de ces derniers, de s’associer dans une certaine mesure à l’esprit de ses ouailles et de le porter sur un autre terrain, au synode convoqué à Constantinople lors du schisme bulgare, où il plaida seul la thèse conciliatrice et se prononça contre l’anathème. De là l’indignation du Phanar, qui a demandé à la Porte la destitution du prélat suspect, et l’a obtenue. — On comprend maintenant l’abattement et la colère du peuple en se voyant arracher son pasteur, la joie des caloyers et des archimandrites qui le remplacent par un des leurs : elle se manifeste par des cris, des insultes, des cantiques d’actions de grâce et des carillons de fête. Ce soir, le clergé grec a illuminé la croix de la coupole en signe de réjouissance : triste spectacle d’anarchie religieuse et d’intérêts purement humains déchaînés au nom du Christ contre la paix de son tombeau.

Cette nuit, entendant à une heure avancée un bruit d’armes et de chevaux dans la rue silencieuse qui conduit à la porte de Jaffa, au-dessous de notre hôtel, je me suis mis à la fenêtre : c’était le patriarche Cyrille qu’on emmenait clandestinement pour éviter le tumulte. Le malheureux vieillard est âgé de quatre-vingts ans, et souffre d’une maladie aiguë. Néanmoins les soldats l’ont placé sur un cheval et l’entraînent nuitamment à Jaffa, où on l’embarquera pour Constantinople sur une frégate qui l’attend dans le port. Tandis que les cavaliers s’engouffrent sous la voûte, éclairée par une lanterne, on distingue entre leurs tarbouchs le haut bonnet noir et les voiles de deuil du prisonnier. Ce cortège de martyre, passant comme une vision nocturne, rappelle éloquemment à l’esprit le souvenir de l’auguste passion dont tout parle ici, de cet autre prisonnier qui sortit de la ville par une nuit semblable, traîné du prétoire au Golgotha par les gardes du procurateur romain.


18 décembre.

Nous avons passé cette journée dans les sépulcres. Cette ville groupée autour d’un tombeau est véritablement la capitale de la mort ; elle se vautre en souveraine dans la banlieue de Jérusalem, où la bêche du fossoyeur remplace la charrue absente. Les tombes