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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/536

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amis. En l’an 1485, comme nous étions assemblés à Nuremberg pour tenir le chapitre provincial, ledit personnage donna à chaque frère un de ses deniers. Il y en a autant que de clous à la croix, et sur l’une des faces on voit une figure d’homme, et sur l’autre est un lis. Il y avait bien une légende, mais on ne peut plus la voir. »

Nous reprenons la vallée d’Hinnôm jusqu’au pied du mont Sion, à l’angle sud-ouest, où elle rejoint la route de Bethléem et le Birketes-Soultan, grand réservoir arabe vulgairement appelé piscine de Salomon. Tout reste antique porte ici ce nom prestigieux ; murs, jardins, réservoirs, aqueducs, tout a été fait par le grand roi, il accapare toutes les splendeurs de la monarchie juive. L’imagination populaire, simple et synthétique, a toujours besoin d’un nom sous lequel elle incarne tous les souvenirs d’une époque. Le fils de Bethsabée a été cet élu de la légende pour la race de David. Elle lui restitue chaque pierre douteuse comme elle lui a attribué toute la littérature de son temps. C’est une loi historique qui semble empruntée aux lois sidérales, cette attraction de quelques grands noms, s’augmentant de sa propre masse incessamment accrue, et absorbant à la longue l’effort lent et composite d’une ou de plusieurs générations, fait de mille efforts obscurs. Il n’y a pas à discuter avec la foule, qui concentre arbitrairement sur quelques têtes radieuses les travaux, les conquêtes et les initiations qui sont l’œuvre collective d’une société.

Tandis que nous nous livrons à ces réflexions philosophiques en remontant à la porte de Jaffa, nous sommes brusquement interpellés par un petit vieillard à costume oriental, coiffé d’un volumineux turban blanc qu’il enlève tout d’une pièce : ce personnage nous salue d’une harangue que je renonce à reproduire et qui débute ainsi : Il me rincresche de n’esser pus à mon poste per accoglir vos échélenzes… Nous reconnaissons à ce langage le légendaire M. Damiani, notre agent consulaire à Ramleh, le dernier agent à turban que la France ait gardé dans ce pays. Les Damiani ont d’illustres archives : ils ont hébergé tout le siècle ; voyageurs, poètes et soldats, tous les hommes d’action et de pensée que cette terre attire d’un invincible aimant, se sont assis à leur table. Le père du titulaire actuel a reçu Bonaparte et Chateaubriand ; notre interlocuteur a été l’hôte de Lamartine, d’Ibrahim, de tant d’autres, mais il est plus fier encore d’être à Ramleh consoul de toutes les potences, et prend fort au sérieux sa dignité. Dernièrement, lors du passage de l’escadre à Jaffa, il s’est rendu à bord du vaisseau amiral pour demander les cinq coups de canon qui lui étaient dus réglementairement ; tandis qu’on lui servait la salve en question, Damiani se levait gravement après chaque coup dans le canot qui le ramenait à terre, et saluait