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fait les plus belles applications qui n’en a pas mesuré l’importance. Bacon n’a pas fait une seule expérience durable, mais il a vu que c’est par l’expérimentation qu’on arrivera à la connaissance rigoureuse de la nature. Pascal au contraire, illustre dans la science par la célèbre expérience du Puy-de-Dôme, n’a connu théoriquement que la méthode démonstrative ou géométrique, et c’est la seule sur laquelle il nous ait laissé des règles. Descartes a fait autant d’expériences qu’aucun savant de son temps, mais il n’a jamais vu là qu’un procédé secondaire, et c’est à l’analyse géométrique qu’il demandait le secret de ses découvertes. Galilée seul paraît avoir eu l’idée nette et la conscience réfléchie du rôle de l’expérience; mais le génie de l’un n’exclut pas le génie de l’autre, et même on peut encore accorder qu’il y a des rangs dans le génie. Ce qui d’ailleurs appartient en propre à Bacon, comme le dit M. de Rémusat, c’est « d’avoir compris et magnifiquement exprimé le rôle de la science dans les destinées de l’humanité. Par là il est un des prophètes de l’avenir intellectuel et social du monde. » Son éloquence d’ailleurs est égale à son génie, elle en est du moins l’une des plus importantes parties. « Il est difficile, dit encore l’auteur, d’avoir plus d’esprit que Bacon, d’écrire avec plus d’imagination et de grandeur. »

Si nous avons insisté sur le nom si controversé de Bacon, c’est que là est la mesure de l’estime que l’on accordera à la philosophie anglaise en général. Si vous dédaignez Bacon, fermez le livre de M. de Rémusat, et déclarez tout d’abord qu’il n’y a pas de philosophie anglaise. Il est en effet le représentant naturel et éclatant de cette philosophie, non qu’il ait exercé réellement et historiquement une aussi grande influence qu’on l’a cru, mais c’est son génie lui-même qui est l’expression du génie anglais. Si ce génie ne vous dit rien, c’est qu’une philosophie exclusivement expérimentale et qui ne touche à la métaphysique que par le sens commun n’est pas à vos yeux une philosophie. Si au contraire vous êtes disposé à croire, ce qui est la vérité pour nous, que la philosophie expérimentale a son rôle, sa part légitime dans ce que l’on a appelé « la philosophie perpétuelle » ou « universelle, » si elle en est une portion nécessaire, que l’on ne peut supprimer ou dédaigner sans porter un profond préjudice à l’esprit humain, restituez à Bacon une part de l’estime que vous accordez à une telle philosophie, car il en a été certainement le maître et l’initiateur.

Nous avons commencé par le nom de Bacon; ce n’est pourtant pas le premier que nous présente M. de Rémusat. Déjà avant Bacon l’esprit anglais s’était appliqué à la philosophie, et l’auteur cite plusieurs noms, parmi lesquels deux au moins ont conservé une certaine célébrité : Hooker et Raleigh, le premier plus original par la pensée, le second par les aventures, — l’un auteur d’un grand