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et jusqu’ici inconnue aussi des savans, qui ont vainement essayé de sonder ces mystères, — a çà et là éparpillées sur le sol. Ces mounds immenses, ces tumulus funéraires, formés de sables rapportés et sous lesquels se retrouvent, avec les éternels outils de pierre, des objets en cuivre grossièrement travaillés, des débris de poteries rustiques, des bijoux rudimentaires en os et en coquilles, ces longues circonvallations, ces murailles informes, ces restes de cités primitives, ces exploitations minières conduites d’une façon hâtive, ces traces de culture dans l’enfance, ces amas de coquillages comestibles accumulés au bord de la mer, qui les a laissés ? Qui a la première fois ouvert, tracé, produit tout cela dans l’Ohio, l’Illinois, l’Indiana, le Kentucky, le Missouri, le Michigan, la Louisiane ? L’histoire, la science, de toute façon interrogées, sont jusqu’ici restées muettes ; le sphinx n’a pas répondu.

C’est un des mécomptes du voyageur, quand il parcourt ces vastes pays, de n’y rencontrer aucun autre souvenir d’un passé lointain. Volontiers on demanderait aux rives pittoresques de ce fleuve qu’on remonte les ruines de quelque antique édifice, à cette montagne qu’on traverse, couronnée de bois ou de gazon, à ce lac dont on sillonne les eaux limpides et bleues, et dont un coteau doucement ondulé marque la rive, l’apparition de quelque vieille tour avec sa sombre légende ; rien, absolument rien que l’immuable sérénité de la nature qui vous sourit, ou bien des souvenirs d’histoire contemporaine rappelant les premiers pas du colon, et qui remontent au plus à un siècle ou deux. On a dit que l’Hudson est le Rhin de l’Amérique du Nord ; avec ses palissades de basalte, qui s’élèvent comme un rempart à pic du fond de ses. eaux, ou les flancs déchiquetés des Kaatskill, qui lui tressent comme une écharpe de pierre nuancée par le soleil de tons doux et variés, je crois même que l’Hudson est par momens plus majestueux que le Rhin ; mais les châteaux du moyen âge, qui vous racontent tant de curieuses histoires, où sont-ils ? Et notre Rhône si charmant avec ses coteaux semés de vignobles, avec ses murailles naturelles de calcaire brûlées des feux du midi, et dont la cime porte toujours quelque vieux donjon, notre Rhône qui court de Lugdunum à la ville des papes, et salue Arles en allant à la mer, que d’Ohios et de Missouris, que d’Illinois et d’Arkansas ne donnerait-on pas pour lui ? Sous ce rapport, les petits lacs de la Suisse valent à eux seuls tous les grands lacs de l’Amérique du Nord. Ici les pierres parlent, là-bas elles sont presque toujours muettes, et une sorte de tristesse particulière s’empare du voyageur quand il traverse les champs de maïs et de blé de l’Indiana, de l’Iowa, qui s’étendent à perte de vue, ou ces montagnes de Pensylyanie et du Colorado, boisées comme les Apennins ou neigeuses comme les Alpes, mais qui ne disent presque