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en 1859 élever de la sorte un grand hôtel entièrement construit en briques sans qu’aucune fissure ait eu lieu. Les voyageurs étaient restés, prenaient leurs repas, passaient la nuit sous ce toit pour ainsi dire suspendu dans le vide et qui montait lentement. Voici maintenant bien autre chose : on ne s’est pas contenté d’exhausser ainsi les maisons, il en est qu’on change absolument de place. Celles-ci sont en bois ; on les charge sur une lourde charrette, tirée par plusieurs paires de vigoureux chevaux, et on les transporte vers le nouvel emplacement qu’on a choisi. Pendant ce temps, la cheminée fume et la ménagère vaque à tous les soins de l’intérieur. A San-Francisco, à Chicago, j’ai été quelquefois témoin de cette transplantation, de cette promenade des maisons en plein jour par les rues de la cité.

Rien ne saurait donner une meilleure idée de l’audacieuse témérité des habitans de Chicago, que ce qui est arrivé dans cette ville à la suite de l’incendie des 8 et 9 octobre 1871. Le feu dura vingt-deux heures et ne s’éteignit que devant les eaux du ciel, qui tombèrent avec une violence inouïe ; une surface de plus de 800 hectares, le quart de l’étendue de la ville, la surface du bois de Boulogne, fut entièrement brûlée ; 17,000 maisons furent détruites, sans compter tous les édifices privés ou publics ; 100,000 citoyens se trouvèrent tout à coup sans asile, et plusieurs centaines de victimes disparurent au milieu des flammes. La perte totale en argent fut évaluée à près d’un milliard de francs. Le lendemain du sinistre, il ne restait plus sur le sol calciné que des décombres, et çà et là quelques pans de murs debout. « C’était comme la prairie aux premiers jours de Chicago, » me disait sur les lieux, il y a quelques mois, un témoin de ce lamentable désastre. Eh bien ! peu de jours après, au milieu des cendres encore fumantes, les architectes tendaient leurs cordeaux et crayonnaient leurs devis. Personne ne perdit courage, toute l’Union d’ailleurs vint au secours de la pauvre incendiée, et Chicago sortit de ses ruines plus resplendissante que jamais. Je l’ai revue au mois de juillet dernier. Nulle part on ne rencontre en Amérique de plus beaux édifices, des rues plus larges, mieux pavées, de plus somptueuses demeures, des hôtels plus gigantesques et à façade plus monumentale. A l’hôtel Tremont, rebâti plus riche qu’avant, un des piliers du majestueux portique qui forme la principale entrée de la maison porte gravées sur la pierre les dates de la destruction de l’hôtel par les incendies successifs qui ont désolé Chicago, et l’autre pilier les dates de la reconstruction ; c’est là tout. Cette inscription, dans sa laconique simplicité, a quelque chose de romain. J’en félicitai le propriétaire de Tremont, un vénérable vieillard qui surveillait encore lui-même les nombreux services de sa maison. « Ah ! monsieur,