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quartier en ruines, brûlant encore. Quelques habitans éplorés venaient eux-mêmes y faire une dernière inspection et voir si, au milieu des débris, ils ne rencontreraient pas quelqu’un de ces objets précieux dont ils regrettaient la perte. Deux jours après, pendant que les cendres fumaient toujours et que des langues de flamme sortaient par instans de monceaux de moellons tout noircis, on songeait déjà sur quelques points à rebâtir les édifices détruits, et le maçon allait plantant des piquets, chancelant sur les pierres entassées, au risque de se faire écraser par un pan de mur fissuré qui, perdant inopinément l’équilibre, s’écroulait tout à coup.

C’est à la suite des malheurs publics du genre de ceux qu’on vient de raconter que se révèle un des côtés les plus louables du caractère américain. Les mots de solidarité, de mutualité, ne sont pas prononcés souvent aux États-Unis ; mais on les y met volontiers en usage. On y pratique l’amour du prochain sans ostentation, sans distinction d’individu. A la suite de l’incendie de 1874, j’ai été témoin de quelques exemples touchans. Un de nos compatriotes, pourquoi ne le nommerai-je pas ? c’était M. Carrey, vice-consul de France à Chicago, brûlé pour la deuxième fois, venait de perdre tout ce qu’il avait et d’être jeté à la rue par le feu avec sa femme et sa fille. Immédiatement on lui offrit asile et argent, et cela d’une façon aussi gracieuse que discrète : « venez, vous aurez un appartement à vous, vous serez libres, nous avons un étage inoccupé. » Cet autre mettait sa bourse à sa disposition, ou plus délicatement encore envoyait un chèque acquitté. Les offres venaient même du dehors ; c’était à qui s’empresserait d’écrire, d’accourir. Il en était de même vis-à-vis de tous ceux qui venaient d’être frappés d’une façon aussi cruelle et inattendue. Toutes ces offres se faisaient sans bruit, comme à la dérobée. Au milieu de ce monde agité, menacé de toute manière, chacun comprend qu’il faut s’entr’aider.

Chicago, situé sur la pointe sud-ouest du lac Michigan, à l’embouchure de la rivière qui a donné son nom à la ville et qui s’y divise en deux bras également navigables, est une des places de commerce les plus animées du globe. Son port n’est pas sur le lac, à découvert ; il est sur les deux bras de la rivière, entièrement protégé. Il n’en est aucun en Amérique, sauf celui de New-York, qui soit visité par autant de navires et qui en contienne autant à la fois. Quoi d’étonnant ? Le lac Michigan et tous les autres grands lacs avec lesquels il est en communication directe composent ensemble une immense mer intérieure, sillonnée par une flotte de bateaux à voiles et à vapeur. A ces milliers de navires, qui presque tous viennent toucher à Chicago, il faut joindre le réseau de chemins de fer qui y conduit de toutes les villes de l’Union. Nulle part, même à New-York, on ne constate plus de mouvement et un pareil