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Vous voulez une enquête sur la vérité, vous avez une enquête sur les vanités. Pour celles-ci, elles sont inépuisables, toujours actives et empressées à se produire. Que de fois nous l’avons entendue cette fronde des vanités impatientes, satisfaites d’elles-mêmes, mécontentes des autres, ne doutant de rien ! Si on les avait écoutées, on aurait réussi ou tout au moins on aurait évité bien des méprises. Elles avaient tout prévu, elles ont tout compris, et elles ont une opinion sur tout, même sur ce qu’elles ne savent pas. Elles montrent ce qu’il aurait fallu faire dans les momens décisifs et ce qu’on n’a pas fait, comment on devait se servir de la garde nationale, à quel moment on aurait pu faire la paix, quelle politique il fallait suivre, ce qu’on aurait dû entreprendre ou ce qu’on aurait pu empêcher ; elles n’oublient le plus souvent qu’une chose, ce qui s’est réellement passé. Ne vous y trompez pas : la vanité, l’imagination, l’incertitude des souvenirs, la légèreté passionnée des jugemens, la manie frondeuse, ont un rôle dans cette histoire rétrospective de nos malheurs. Elles créent les mirages, les apparences, et c’est ainsi qu’une œuvre de recherche qui devrait avant tout rester sérieuse, pratique, précise, devient une sorte de tourbillon où fleurit cet éternel à-peu-près qui est l’ennemi de la vérité, que nous avons vu paraître partout, dans les préparatifs de la guerre, dans l’action politique comme dans l’action militaire, et que nous retrouvons encore à l’heure des explications souveraines. C’est le défaut d’une enquête où tout se mêle et où à travers les confusions, les vaines digressions, se dessine une cause plus grave d’erreur et même peut-être quelquefois d’iniquité : la passion, l’arrière-pensée politique.


II

C’est là en effet un des malheurs de l’enquête : elle ressemble par instans à une campagne politique conduite dans un certain esprit, avec certaines vues ou, si l’on veut, sous l’influence obsédante de certaines préventions. Par son origine même, par les circonstances dans lesquelles elle s’est produite, par les commentaires qui l’ont accompagnée à sa naissance, on pourrait dire qu’elle était logiquement poussée à prendre le caractère d’une manifestation politique. C’est le 13 juin 1871 qu’elle apparaissait ou du moins qu’elle prenait pour la première fois une forme saisissable par un vote de l’assemblée créant une commission chargée « d’examiner les actes de la délégation de Tours et de Bordeaux au triple point de vue civil, militaire et financier, » avec plein pouvoir « pour recueillir tous les témoignages et prendre connaissance de tous les documens propres à éclairer son jugement. » On n’a songé d’abord qu’à la délégation de province, une décision supplémentaire vient étendre