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au XVIIe siècle le même genre de célébrité et d’influence que Machiavel au XVIe siècle, et M. de Rémusat a dit finement et justement qu’il a fait « la métaphysique du machiavélisme. »

Si Thomas Hobbes a eu cette autorité dans son siècle, pour la morale et la politique, il est certain que sa psychologie et sa métaphysique proprement dite étaient appelées à exercer plus longtemps encore une sérieuse influence. C’est de lui en effet que paraît relever l’école psychologique moderne de l’Angleterre, et c’est son nom que M. Stuart Mill et ses amis citent toujours le premier parmi leurs ancêtres. Sa doctrine de l’association des idées, son nominalisme, sa théorie du raisonnement réduit au calcul, sont des idées qui se sont retrouvées plus tard, soit parmi les idéologues de l’école de Condillac, soit parmi les associationistes contemporains. Quel que soit d’ailleurs le peu de sympathie que l’on éprouve pour les idées de cet auteur, on ne peut qu’admirer la vigueur de ses déductions et l’enchaînement systématique de ses idées. Si le fond de sa philosophie est bien anglais, on peut dire que la forme ne l’est pas. Les Anglais n’ont pas d’ordinaire cette raideur de logique et ce goût d’abstraction théorique. Quoi qu’il en soit, Hobbes est le plus grand logicien de l’Angleterre, et l’un de ses moins estimables philosophes. M. de Rémusat le condamne en invoquant « les titres du genre humain. » — « Où les retrouver en effet? dit-il éloquemment; étaient-ils, il y a deux cents ans, écrits quelque part sur la terre? » Hobbes est donc le mauvais génie de la philosophie de l’expérience, tandis que Locke à la fin du siècle en sera l’apôtre sage et respecté.


III.

C’est surtout dans l’intervalle qui sépare Hobbes de Locke que le livre de M. de Rémusat est riche en témoignages curieux et nouveaux sur des noms inconnus ou mal connus, dont un grand nombre n’ont pas encore eu leur place dans l’histoire de la philosophie. Pour établir un ordre parmi ces noms, on peut y distinguer plusieurs groupes, pourvu qu’on n’exagère pas l’importance de ces divisions. Nous signalerons par exemple le groupe des philosophes politiques, celui des platoniciens de Cambridge, les théologiens et enfin les savans; mais il est des noms qui appartiennent à la fois à plusieurs groupes, et quelques autres qu’on rangerait difficilement dans aucun d’entre eux.

Parmi les écrivains politiques de la révolution et de la restauration, les uns sont des utopistes, les autres des controversistes. Hobbes lui-même peut être rangé parmi les utopistes. Son Leviathan, dit M. de Rémusat, n’est après tout que « l’utopie de la tyrannie. »