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il était en quelque sorte laissé en dehors des événemens jusqu’à fa dernière heure. Disons tout, si l’on veut : il demeurait fidèle froidement devant les défiances injurieuses qu’on lui témoignait. Appelé à prendre un parti au moment où tout était fini, où la disparition instantanée de l’empire déliait tout le monde, même les serviteurs les plus intimes, il restait avec le pays envahi, avec Paris menacé, et lorsqu’on lui reproche d’avoir revendiqué, le soir du 4 septembre, la présidence du nouveau gouvernement, on oublie que c’était un acte de véritable dévoûment, sans lequel la désorganisation serait devenue plus complète encore ; on ne se demande pas ce qui serait arrivé, si le nom du général Trochu n’avait pas surgi comme une garantie pour l’armée, pour ce qui restait de l’armée, comme pour la population tout entière. C’était peut-être dès ce moment la commune et Paris exposé à devenir sous peu de jours la proie sanglante de l’ennemi.

La résolution du général Trochu était certainement grave, il l’a expliquée lui-même par un mot. « Je n’ai pensé qu’à une seule chose, la défense de Paris… Si je m’étais effacé, j’aurais été à mes yeux coupable de désertion devant l’ennemi. » Le malheur est de juger ces événemens compliqués avec des bruits et des anecdotes, avec des sentimens hostiles ou des idées préconçues. Tout devient alors sujet d’accusation ou d’insinuation.

Un jour, des mobiles, dans Paris, sont mêlés à je ne sais quelle échauffourée où un des leurs est blessé, dit-on, par la police. Ils s’en vont au Louvre sous prétexte de se plaindre, et M. le comte Daru raconte gravement que le mobile blessé ou tué est porté au milieu de l’émotion populaire « jusque chez le général Trochu, qui fut obligé de venir haranguer la foule, à qui il promit que justice serait faite. » C’est bien la scène, si ce n’est que cette promesse de justice, qui ressemble à une complicité avec l’émeute, se réduit à ces mots sévères adressés par le général Trochu aux mobiles devant tous ses officiers : « Un soldat de la garnison aurait été tué, et je ne le saurais pas ? Est-ce qu’un homme est tué sans que la justice intervienne ! Si un de vos camarades a été tué, et je n’en crois pas un mot, la justice agira, vous n’avez pas à entrer dans son action ; mais en quittant votre camp sans autorisation, en traversant Paris en troupe pour venir ici, vous avez commis un grave délit. Il est atténué par votre inexpérience de la discipline ; mais, s’il devait se renouveler, je vous tiendrais pour indignes de la confiance que j’ai mise en vous ; Je vous ordonne de rentrer au camp… » Voilà la vérité. Nouveau grief. Pendant ces jours d’inquiétude et d’agitation de la fin d’août 1870, le général Trochu reçoit au Louvre un peu tout le monde, surtout des députés de toutes les couleurs, de toutes