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impulsion reprendre au moins une partie de son ancienne influence. En 1872, elle a été constituée en aghalick, sous le commandement d’un officier de spahis indigène, Mohammed Ben-Driss. Élevé au collège arabe d’Alger, l’agha d’Ouargla parle français et est marié à la française. C’est un homme fort intelligent. Grâce à ses efforts persévérans, un commerce régulier semble s’ouvrir entre Ouargla et le Tidikelt par l’initiative de la famille princière d’In-Çalah. En décembre 1873, trois membres de cette famille ont amené des ânes, des moutons, des plumes d’autruche, et sont repartis dix jours après, emportant de menus objets achetés à Ouargla. Cette caravane a été suivie d’autres plus importantes.

Le voyageur fut bien accueilli par Ben-Driss, qui lui fournit tous les renseignemens qu’il était en mesure de lui donner. Ces renseignemens n’étaient guère favorables à l’issue de l’entreprise. Ainsi cheik Othman, le grand marabout sur l’appui duquel avait compté M. Dournaux-Duperé, venait de mourir ; le pays des Touaregs était profondément troublé, et cheik Ikhenoukhen, suspect à ses compatriotes, ne pouvait plus maintenant lui être d’aucune utilité. Sur ces entrefaites parvint à Ouargla la nouvelle d’un événement très significatif. Un officier de spahis, Piémontais d’origine, El-Arbi, caïd du Souf, venait d’être assassiné le 25 novembre, et ses assassins se réfugiaient en Tunisie. Bien que la responsabilité de ce meurtre ait été attribuée plus tard à Ali-Bey, caïd dépossédé du Souf, un tel acte d’audace n’indiquait pas moins des sentimens hostiles à la France, frappée dans son représentant.

M. Dournaux-Duperé revint à Tougourt en décembre. Il y trouva cinq Ghadamsiens qui, le 3 janvier 1874, lui proposèrent de le conduire à Ghadamez par la route ordinaire. Vainement l’autorité militaire s’efforça-t-elle de faire comprendre au voyageur l’imprudence de sa tentative. Trois explorateurs seulement avaient avant lui suivi cette route : MM. Bou-Derba, Duveyrier et Rohlfs ; encore avaient-ils accompli leur voyage à une époque de tranquillité relative, tandis qu’à présent le Sahara était en feu. Dans une razzia sur Bou-Choucha, chérif, chef des révoltés, le frère de Ben-Driss, Si-Saïd, avait en le malheur de brûler la cervelle à un chef touareg, et les différentes fractions de ce peuple avaient juré de se venger. Rien ne put arrêter M. Dournaux-Duperé. Peut-être avait-il déjà conscience du sort qui l’attendait : les lettres qu’il écrivait à cette époque sont empreintes de mélancolie ; mais il eût considéré comme une lâcheté de déserter son poste à l’heure du danger. Accompagné de M. Eugène Joubert, négociant à Tougourt, qui, dans l’intention de se livrer au commerce, se décida à le suivre à Ghadamez, M. Dournaux-Duperé se mit en route, emmenant