tumeurs et enflures qu’on appelle glandes et écrouelles. » Ces idées subtiles et vagues des anciens sur le rôle des élémens dans la genèse des corps vivans ont enveloppé comme d’un brouillard les esprits les plus cultivés de l’antiquité grecque et romaine, du moyen âge et même de la renaissance. Associées par Galien à la doctrine savante des tempéramens et des humeurs, quintessenciées encore par les Arabes et par les alchimistes, on les retrouve partout comme un cauchemar pour la pensée, comme une source de galimatias pour la langue. Écoutons par exemple Ciccarelli, un lettré du XVIe siècle, dans le curieux opuscule sur les truffes dont Amoreux s’est fait le commentateur et le traducteur. « La propriété qu’a un lieu convenable de la terre, préparée par la chaleur du soleil, mise en action par les tonnerres et par les pluies qui déterminent une chaleur putride, donne naissance aux truffes, puisqu’une chaleur pourrissante sépare l’humide terreux, donne naissance à ces racines sans germe qu’on nomme truffes ; par la raison des contraires, lorsque la chaleur cuit la matière froide, humide et ténue, il en résulte des germes sans racines : c’est ce que nous nommons des champignons. » Et plus loin : « il existe cinq élémens dans les truffes, — l’écorce, la pulpe, l’humidité, l’odeur et la couleur ; l’écorce est formée de la terre, puisqu’elle provient du froid et du sec ; la pulpe a deux parties, l’une crasse, l’autre ténue, la crasse provient de la terre, la ténue de l’air ; l’humidité vient de l’eau, et l’odeur et la couleur du feu ; l’ensemble concourt à la génération des truffes. » J’abrège à dessein cette prose de Sganarelle, échantillon entre mille de l’idée et du langage d’une époque où l’observation commençait à peine à supplanter l’érudition et la scolastique. Que de nuages à dissiper, et quelle œuvre les grands esprits des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ont eu à faire pour créer à la fois le fond et la forme de la science moderne !
L’idée que le tonnerre intervient dans la formation des truffes était populaire chez les Grecs et les Romains. Théophraste lui-même l’adopte ; Juvénal s’en fait l’écho dans un passage souvent cité. Évidemment fausse en elle-même, cette opinion pourrait avoir un côté vrai en ce sens que les pluies, accompagnement ordinaire du tonnerre, peuvent, lorsqu’elles viennent au moment propice, aux mois d’août et de septembre par exemple, favoriser la production des truffes pour l’hiver suivant. Faudrait-il aller plus loin, et, reconnaissant l’action de la foudre et de l’électricité des nuages, comme source de nitrate d’ammoniaque et d’ozone, admettre une influence directe des pluies d’orage sur le développement d’êtres fortement azotés comme la truffe ? M. Henri Bonnet se décide pour l’affirmative ; quant à M. Jacques Valserres, il imagine sans sourciller que les chênes verts et les kermès doivent à leurs feuilles