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trop longtemps d’avance une date. Dans tous les cas, la question est posée désormais, l’heure de la dissolution ne peut être éloignée, elle peut être rapprochée par une circonstance imprévue, et c’est pour le gouvernement une raison de plus de ne pas se laisser détourner de sa mission essentielle, de réunir ses forces pour ménager au pays des conditions favorables de tranquillité confiante. Tout ce qu’on peut demander au ministère, c’est de ne pas perdre trop de temps à s’observer et à s’écouter, ou à écouter ce qui se dit autour de lui, de prendre nettement et ostensiblement devant le pays la direction de la politique, de façon à rester en mesure de dominer les incidens et les surprises.

L’assemblée est donc en vacances, le gouvernement prépare des circulaires pour ses préfets, pour ses procureurs-généraux, et dans l’intervalle c’est la mort qui se charge des diversions douloureuses du moment en multipliant les victimes d’élite. Depuis quelques jours, il y a un véritable défilé funèbre d’hommes publics, d’écrivains. C’est M. le comte de Jarnac, ambassadeur de France à Londres, qui disparaît à l’improviste, laissant un vide dans notre diplomatie. Après avoir servi le pays dans sa jeunesse, M. de Jarnac était resté hors des affaires depuis 1848, fidèle à des opinions qui étaient des affections. Il avait récemment repris du service, et il s’était dévoué avec entrain, avec un zèle aussi intelligent que passionné, à son rôle de représentant de la France à Londres. Ce n’était pas seulement un ambassadeur, c’était l’ambassadeur exceptionnellement désigné pour la mission. Il avait longtemps vécu en Angleterre, où il avait des intérêts considérables. Il était devenu presque Anglais sans cesser d’être un vrai Français, il était aimé de la haute société de Londres. Nul mieux que lui ne pouvait réchauffer les sympathies britanniques et mettre l’intimité, la cordialité dans les relations des deux pays. Il s’y employait avec une activité infatigable et ingénieuse, saisissant, provoquant souvent les occasions où il pouvait parler de la France devant un monde étranger qu’il intéressait et qu’il charmait. M. de Jarnac avait soixante ans à peine, il n’était encore qu’au début de cette seconde carrière où il pouvait rendre de si éminens services, et sa mort imprévue, prématurée, est assurément un malheur pour le pays.

Et après M. de Jarnac, voici un autre homme bien différent qui s’en va, M. Edgar Quinet, et, après M. Quinet, c’est encore un autre de nos contemporains, M. Amédée Achard. La mort réunit au dernier jour ceux qui ont suivi des voies si contraires. M. Edgar Quinet, qui vient de s’éteindre à Versailles, était certainement un esprit noblement tourmenté, une imagination puissante, un talent supérieur. Poète, professeur, historien, penseur, il cherchait, il aspirait à un idéal qui se dérobait sans cesse à lui. Il avait commencé par une préface éloquente des Idées sur l’histoire de l’humanité de Herder, il a donné souvent à la Revue les plus remarquables études sur la Teutomanie, sur la révolution, sur la campagne de 1815, sur les Provinces-Unies, et il finissait