nous les en tirions au contraire pour les faire mouvoir dans cet ordre de sentimens qui dérident tous les visages, qui mouillent tous les yeux et font battre tous les cœurs. Nous saturons gré à M. Daudet, dans un sujet scabreux, de n’avoir pas une seule fois glissé, sous prétexte de fidélité, dans l’indécence ou le libertinage ; mais nous lui rappellerons que « ce n’est pas assez que les mœurs du roman soient décentes,… et qu’il peut y avoir un ridicule si bas ou si grossier, ou même si fade et si indifférent qu’il n’est pas permis au romancier d’y faire attention, ni aux lecteurs de s’en divertir. » Qu’il se garde aussi d’une imitation de toutes mains qui déborde : Sidonie Chèbe, c’est Mme Bovary, — Son père, M. Chèbe, l’homme à projets, n’est-ce pas M. Micawber ? La légende fantastique du Petit-Homme-Bleu, — le garçon de banque, transformé par l’imagination de l’auteur, — n’est-ce pas un ressouvenir encore de Dickens ? Il n’est pas jusque dans la forme, assez simple d’ailleurs, une persistance d’un goût équivoque à appuyer sur de certains effets qui ne vienne encore du roman anglais. Par exemple, si dans le rapport de police qui mentionne la tentative de suicide de la petite Delobelle M. Daudet lit cette expression d’une indifférence consacrée : « la nommée Delobelle, » il en a pour plusieurs pages à ne l’appeler plus lui-même que la nommée Delobelle. On voit bien l’intention, mais ce sont là de petites drôleries qu’on gagne tout à s’interdire. Il ne reste qu’à souhaiter qu’une prochaine fois M. Daudet consente à se réduire, et qu’il nous donne-dans quelque petit récit achevé la mesure des qualités très réelles d’émotion et de simplicité qu’il possède ; évidemment ce ne sera pas le grand art, ni celui des Mérimée, ni celui des George Sand, — ce sera du moins une forme du réalisme encore aisément acceptable.
Nous n’en dirons pas autant des romans de M. Zola, — les Rougon-Macquart, — cinq volumes où l’auteur a dépassé tout ce que le réalisme s’était encore permis d’excès. On imaginerait malaisément une telle préoccupation de l’odieux dans le choix du sujet, de l’ignoble et du repoussant dans la peinture des caractères, du matérialisme et de la brutalité dans le style. « Je voudrais, nous dit-il dans une préface récente, coucher l’humanité sur une page blanche, toutes les choses, tous les êtres, une œuvre qui serait l’arche immense, » — noble et vaste ambition sans doute ; mais l’humanité n’est-elle donc composée que de coquins, de fous et de grotesques ? L’artiste a bien des droits, il n’a pas celui de mutiler la nature, et certes il est étrange qu’on refuse d’ouvrir les yeux à la clarté du jour, et de comprendre enfin que cette affectation de dénigrement n’est pas d’une convention moins artificielle, d’une esthétique moins fausse que les prétentions surannées du temps jadis à la noblesse. Des intentions de satire politique et de représailles qui devraient rester absolument étrangères à l’art, parce qu’elles sont contradictoires à ses lois, ne sauraient excuser les crudités