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FLAMARANDE.

— Non, il faut t’asseoir là.

— À votre table ?

— Oui, à ma droite… Non, à ma place ! Donne-moi ça, ajoutat-il en se levant et en prenant la serviette que son frère avait sous le bras. — Monsieur le comte veut-il prendre son café ?

Espérance, stupéfait, restait debout, ne sachant s’il devait se prêter à un jeu si étrange.

— Réponds-moi, lui dit Roger en lui prenant les épaules pour le faire asseoir. Monsieur prend-il son café ?

— Il faut donc que je fasse votre personnage ?

— Oui, réponds-moi comme je te répondrais ; il faut surtout me tutoyer.

— Eh bien ! donne-moi du café.

— Voilà, monsieur, voilà ! dit Roger imitant l’intonation d’un garçon de café.

— Ce n’est pas cela du tout, reprit Espérance en riant. J’aurais dit : En v’là, mon maître.

— C’est juste. En v’ià, mon maître ! Mais toi, prends donc la tasse que je te présente.

— Eh bien ! et vous ?

— Il faut dire toi.

— Eh bien ! et toi ?

— Monsieur le comte ne m’a pas invité à m’asseoir auprès de lui, dit Roger.

— Je t’invite, répondit Gaston. Allons ! est-ce fini, la comédie ? — Il voulut se relever, Roger le retint et s’assit à sa droite en disant : — Allons, à table et trinquons !

— Avec nos tasses ?

— Avec n’importe quoi ; ôte donc ça, ajouta-t-il en lui retirant ses gants de coton et en les jetant dans le feu. Nous voilà égaux, sauf que je suis le plus jeune. À présent, causons comme deux amis. J’ai à te demander pardon de t’avoir laissé faire le domestique ; c’était pour éprouver ton amitié et ton bon cœur.

— L’épreuve était douce, dit Espérance, et je ne demande qu’à la continuer.

— C’est bien simple, répondit Roger, nous serons maîtres et domestiques tous deux ; nous nous servirons l’un l’autre.

— Si c’est votre fantaisie pour ce soir, je veux bien, dit Espérance plus ému qu’il ne voulait le laisser paraître ; je ne demande pas mieux ; mais il ne faudrait pas jouer à ce jeu-là devant témoins.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on dirait que vous n’êtes pas assez fier et moi pas assez respectueux.