Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/741

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
737
FLAMARANDE.

— Mais si j’y veux toucher dans ton intérêt et dans le sien ?

— Vous n’avez pas ce droit-là, monsieur le comte.

— Comment ? quand même il s’agirait de te restituer un grand nom et une grande fortune ?

— Quand même il s’agirait de la vie !

— Quand même il s’agirait de Charlotte ?

— Même de cela ! Non, je ne veux pas ; ne me dites rien, ne parlons plus jamais de moi et laissez-moi me retirer.

— Non, écoute encore. S’il s’agissait de donner à ta mère la plus grande joie qu’elle ait éprouvée dans sa vie, remplie, à cause de toi, d’un chagrin affreux ?

— Ma mère n’a plus et n’aura plus jamais de chagrin à cause de moi.

— Tu te trompes, elle a du chagrin chaque fois qu’elle te quitte. Son bonheur serait de vivre auprès de toi : tu ne veux pas m’aider à lui donner ce bonheur-là ?

— Comment pourrais-je vous aider ? dit Gaston ému et troublé.

— En ne me cachant plus ce que tu sais.

— Monsieur Roger, vous me torturez, je vous jure sur l’honneur que je ne sais rien.

— Tu mens ! s’écria Roger en retenant les deux mains d’Espérance dans les siennes. Tu sais au moins que nous avons la même mère !

Gaston rougit, pâlit, se leva, comme pour fuir, et retomba en disant : — Plût au ciel, monsieur Roger ! mais cela n’est pas. Qui a pu vous dire cela ?

— Quelqu’un qui le savait, l’homme qui m’a élevé, mon précepteur, mon ami, un homme de bien, l’abbé Ferras !

Cette révélation tomba sur moi comme un coup de foudre. Je perdis la tête, j’entrai brusquement en m’écriant : — C’est impossible, monsieur le comte plaide le faux, croyant saisir le vrai. Un honnête homme n’eût pas trahi la confiance de vos parens. M. Ferras ne vous a pas dit cela !

— Ah ! ah ! dit Roger en me toisant avec une ironie cruelle, et toi, l’honnête homme, tu écoutes aux portes ? Voilà ce que je ne savais pas, ce qui me confirme dans l’idée que tu as été capable de me faire beaucoup de mensonges !

LXVIII.

J’étais exalté. — Insultez-moi, lui dis-je, vous ne me fermerez pas la bouche, monsieur le comte ! Je combattrai toute calomnie contre l’honneur de votre famille.

tome viii. — 1875.                                                                                47