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Je me munis d’une lumière, je gagnai la chapelle et le jardin, d’où l’on pouvait sortir par une brèche escarpée. J’atteignis, sur le sentier, la porte de l’espélunque, celle par où l’on se rendait sans mystère au Refuge. M. de Salcède ne fermait pas habituellement cette porte ; je la trouvai ouverte. J’allumai ma bougie, j’arrivai à la sonnette de son caveau et je sonnai résolument. Quelques minutes seulement, le temps de se lever, et il tira le ressort qui, du salon, ouvrait la porte du caveau. Je le franchis et trouvai la trappe ouverte au haut de l’escalier de bois ; le marquis, enveloppé d’une robe de chambre, l’avait déjà soulevée et me demandait avec inquiétude de quoi il s’agissait.

Je le priai de m’accorder une heure d’entretien. Il me fit monter chez lui, où je lui racontai sans réflexion ni commentaire tout ce qui s’était passé devant moi dans la soirée entre Roger, Gaston et Ambroise. M. de Salcède m’écouta avec la plus sérieuse attention, sans m’interrompre par un geste ni par un mot. Quand j’eus fini, il resta encore muet et absorbé durant quelques instans ; puis enfin il me dit sur le ton de la confiance et de la sympathie : — Vous avez bien fait de me mettre au courant de ces choses, qui dérangent tous mes projets et qui demandent réflexion. Aidez-moi, vous le pouvez, je crois, à me rendre compte d’une situation si peu prévue ; vous connaissez à fond le caractère de Roger : pensez-vous que sa résolution d’accepter Gaston soit durable et sérieuse ?

— Oui, monsieur le marquis. Je crois que, dans toute question d’intérêt où l’honneur et la délicatesse sont en jeu, Roger sera inébranlable.

— Oh ! cela, je n’en doute pas, reprit le marquis ; mais ne serat-il pas jaloux de la tendresse de sa mère ?

— Il le sera, il l’est déjà.

— Ceci est grave, mais non sans remède. Gaston saura se faire aimer, et Mme de Flamarande saura sans beaucoup d’efforts rassurer la tendresse inquiète de Roger. Je ne vois à redouter très sérieusement que les injustes et douloureux soupçons qui pourraient venir à ce jeune homme, si quelqu’un avait l’imprudence de lui révéler ceux de son père. Ne craignez-vous pas quelque circonstance où cela pourrait arriver ?

— Cela est déjà arrivé, monsieur le marquis ; Roger est déjà en proie à des soupçons qui le torturent.

— Vous ne m’avez donc pas tout raconté ? Achevez votre récit. — Et, me regardant avec attention : — Est-ce vous, ajouta-t-il, qui avez commis l’imprudence que je redoutais ?

— C’est moi, répondis-je, sans le vouloir, je n’ai pas besoin de l’affirmer. Je savais les résolutions qu’en ma présence Mme la comtesse a prises ici avec vous, il y a peu de jours. Je voulais détourner