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FLAMARANDE.

sans me soucier d’autre chose que d’avoir raison. M. de Salcède, traité par moi de menteur, m’avait traité de lâche ; nous étions quittes. Je n’avais plus peur de lui, je me sentais soutenu par la soif de la vérité. Je n’avais plus honte d’avouer l’ardente recherche que j’en avais déjà faite, et je m’obstinais dans mes aveux pour lui faire sentir qu’il pouvait m’assassiner, mais non m’intimider.

LXXI.

Il comprit bien que, si j’étais rusé comme un agent de la police secrète, j’étais en même temps hardi comme un fanatique, et il s’abstint de m’injurier davantage. Il se contenta de me répondre :

— Je ne montrerai à personne aucune lettre de Mme de Flamarande, parce que je n’en ai jamais reçu aucune, pas même le plus simple billet, pas même les quatre mots que j’ai eu l’imprudence, la folie, si vous voulez, de détacher d’une lettre écrite à une autre personne, pour en faire une amulette à mon usage. Puisque vous avez si bien exploré mes tiroirs, monsieur Charles, je m’étonne qu’une de ces lettres ne vous ait pas frappé. Cela prouve que le plus habile homme du monde laisse parfois échapper le détail le plus significatif.

Il ouvrit un des tiroirs du bureau et y prit, avec la sûreté d’un homme amoureux de rangement, une liasse de lettres portant la date de 1849. Il choisit vers la fin de la liasse deux ou trois lettres et tomba d’emblée sur celle qu’il cherchait. Il me la présenta et m’invita à la lire. Elle était courte et portait ceci :

« Je ne le verrai donc pas cette année, mon pauvre enfant ! Oui, je sais bien que ces entrevues sont dangereuses pour moi comme pour toi, et qu’une imprudence me forcerait à les supprimer entièrement. Allons, pour l’amour de mon cher Roger, dont je ne veux pas être séparée, je me priverai de voir mon pauvre Gaston ! Ah ! ma chère Hélène, ma véritable amie ! dis à la baronne qu’elle tâche de le faire venir chez elle, il fait si froid et la vie est si rude sur ce rocher de Flamarande ! Dis-lui qu’au moins elle s’informe de lui souvent, qu’elle soit une seconde mère pour lui et… »

Ici la lettre était coupée à la dernière ligne ainsi que la signature, et en rajustant la ligne que j’avais coupée exactement sur l’original, et veille sur notre enfant, Rolande, M. de Salcède me fit voir que ce que j’avais pris pour un billet à son adresse n’était que la fin d’une lettre adressée à Hélène. Je me rappelai qu’à l’époque de ce billet Hélène, qui avait une sœur placée chez la baronne, avait fait un voyage en Auvergne pour aller la voir. Chargée par la comtesse de s’informer d’Espérance, elle avait dû écrire qu’il allait bien, et que, Salcède ou la baronne conseillant à madame de ne pas

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