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marchandises lourdes et encombrantes paient au plus 2 centimes sur les canaux et les rivières en bon état d’entretien, tandis que les compagnies de chemins de fer perdraient à faire le transport au-dessous de 3 centimes 1/2, d’où l’on conclut que des travaux neufs qui auraient pour conséquence d’enlever 1 milliard de tonnes kilométriques aux railways et d’en donner le trafic aux voies navigables procureraient au pays une économie annuelle de 15 millions. Ce n’est pas là du reste ce qui nuirait à la prospérité des compagnies de chemins de fer, car les grosses masses sont ce qui les embarrasse le plus et ce qui leur donne le moins de profit.

Or quels sont les travaux qu’exigent nos voies navigables? Il ne suffirait pas de relier la Moselle et la Meuse à la Saône, le Rhône et la Garonne à la Loire, de façon à créer des communications entre les divers bassins fluviaux. Il faut encore exécuter ces nouvelles voies ou reconstruire les anciennes sur un type uniforme, afin que d’un bout à l’autre du territoire il y ait même profondeur d’eau, même longueur et largeur dans les sas des écluses. Imprévoyance singulière de la part d’une nation qui adore l’uniformité ! nos canaux existans ont été faits sans un plan préconçu. Les ingénieurs n’ont rien envisagé au-delà des besoins de la batellerie locale. De Paris à Lille, sur cette belle ligne de navigation dont le trafic est immense, le mouillage n’est pas uniforme, si bien que les mariniers sont obligés de régler leur chargement d’après le moindre tirant d’eau qu’ils rencontreront en route. Les bateaux faits pour les canaux du Loing et de Briare ne peuvent entrer dans le canal d’Orléans; ceux qui fréquentent la Sarthe et la Mayenne s’arrêtent aux portes du réseau breton. Ailleurs des rivières qui sont restées telles que la nature les avait faites offrent des obstacles insurmontables à la batellerie dans la saison des basses eaux. Ainsi la besogne que nos ingénieurs ont à faire est tantôt de canaliser des rivières, tantôt d’ouvrir de nouveaux canaux, tantôt d’améliorer ceux qui existent déjà. Parcourons donc notre territoire avec M. Krantz, de la Manche à la Méditerranée, de l’Océan à la frontière de l’est, et voyons ce qu’il manque dans chaque bassin pour obtenir ce grand résultat. Les nombreux rapports que ce savant ingénieur a soumis à l’assemblée nationale au nom de la commission des voies de transports contiennent le tableau complet des ressources et des besoins de la marine d’eau douce. Depuis l’Essai sur le système général de la canalisation en France, publié en 1829 par l’administration des ponts et chaussées après la mort de l’auteur, l’illustre ingénieur Brisson, personne n’avait étudié le réseau de nos voies navigables avec des vues d’ensemble. Peut-être faut-il attribuer à cette cause l’incohérence des travaux exécutés en ces derniers temps.