nettement établie, tandis que le lien féodal existant chez les anciens Celtes irlandais naissait de la remise de bétail à une époque où la terre n’avait pour ainsi dire aucune valeur. Le fait signalé par sir H. Maine me semble de la plus haute importance ; mais, pour bien le comprendre, il faut se rendre compte de l’état économique des époques primitives. Les relations des hommes, les coutumes, le droit, règlent des intérêts ou s’y rapportent ; on ne peut donc en pénétrer le sens que lorsque l’on connaît les conditions économiques de l’état social où ce droit et ces coutumes se rencontrent.
Quand la population est peu dense, la terre a peu de valeur, parce qu’il y en a pour tous. Aujourd’hui encore, dans des pays très civilisés, comme les États-Unis ou le Canada, on peut obtenir d’excellentes terres cadastrées, avec titre et garantie de la propriété, pour un dollar l’acre ou environ 12 francs l’hectare. Dans les temps primitifs, le principal capital doit donc être le bétail. Les peuples chasseurs ne vivent que des animaux qu’ils abattent. Les peuples pasteurs tirent leur subsistance du produit des troupeaux qu’ils font paître, et il en est encore de même quand déjà l’agriculture a commencé. C’est ainsi que les Germains, suivant la remarque de César, se nourrissaient principalement de viande et de laitage. Dans l’ancien Scandinave, le mot fe signifié à la fois richesse et bétail, tant les deux notions se confondent. Comme le fait observer sir H. Maine, le mot capitale, c’est-à-dire tête (caput) de bétail, a donné naissance à deux des mots les plus employés en économie politique et en droit, capital et catel[1], cheptel, chattels en anglais. Pour prouver l’importance du bétail aux époques primitives, Adam Smith rappelle que les Tartares demandaient sans cesse à Piano Carpino, envoyé comme ambassadeur à l’un des fils de Gengis-Khan, si en France il y avait beaucoup de moutons, et de bœufs, cela constituant toute la richesse à leurs yeux. Autrefois le bétail servait de monnaie, comme le prouvent l’étymologie, les traditions poétiques et les observations des historiens : les mots pécule, pecunia, viennent de pecus, troupeau. Aux débuts de l’agriculture, la valeur du bœuf, loin de diminuer, augmenta, car c’est grâce à son travail
- ↑ Le droit de meilleur catel était le droit on vertu duquel les seigneurs, après le décès d’un vassal, prenaient à leur choix le meilleur des meubles du défunt. C’était primitivement le droit à la meilleure tête (caput, catel) de bétail. Le catel était aussi une ancienne forme de cheptel. Le mot cheptel signifie à la fois la convention du maître avec le fermier, à qui il donne du bétail pour l’entretenir, moyennant partage du profit, et les bestiaux mêmes formant l’objet du contrat. En Angleterre, le droit de heriot ou de meilleur catel, qu’on trouve dans la tenure en copyhold, donnait au seigneur la faculté de prendre la meilleure tête de bétail, the best beast, et on y a vu la preuve d’un droit de propriété du seigneur sur les troupeaux dont il avait garni les terres de ses vassaux.