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sa gloire, il la veut intacte et pure, il en repousse avec horreur toutes les souillures qui la peuvent ternir. Il essaie de ressusciter l’esprit public, de plus en plus intimidé par la violence. Il ne cesse pas d’éclairer le peuple sur ses véritables intérêts et sur ses vrais droits, qui se confondent avec les droits et la liberté de tous. Il ne cesse pas non plus de ranimer les courages défaillans. Déjà, dans ses Réflexions sur l’esprit de parti, publiées en avril 1791, il fait la guerre à la peur, la peur qui prend le nom de prudence, et, sous prétexte de ne rien compromettre, reste muette devant la faction dominante, tergiverse, ne dit la vérité qu’à moitié, et seconde par cette mollesse les audaces criminelles. — C’est peu de jours après que, revenant sur cette pensée, il écrivit cette vive et forte satire, les Autels de la peur. « Les peuples anciens, disait-il, avaient élevé des temples à la peur ; mais jamais dans l’antiquité cette déesse funeste n’eut plus de véritables autels qu’à Paris, jamais elle ne fut honorée d’un culte plus universel ; cette ville entière est son temple, tous les gens de bien sont devenus ses pontifes en lui faisant journellement le sacrifice de leur pensée et de leur conscience. La peur donne même du courage, elle fait qu’on se met avec éclat du côté du fort, qui a tort, pour accabler le faible, qui a tort aussi. » Puis en un style charmant d’ironie, bien qu’au fond la note soit triste, quand il a indiqué toutes les sortes de sacrifices que chaque jour reçoit la peur : « Quant à moi, s’écrie-t-il fièrement, je ne lui ferai pas le sacrifice de dissimuler le nom de l’auteur qui vient de chanter cet hymne à sa louange. André Chénier. »

Tel se révèle ce talent superbe de publiciste courageux, incapable de défaillances dans la défense des nobles causes qu’il embrasse. Nous n’insisterons pas sur les quatre articles qu’André publia dans le Moniteur et dont il nous suffira de relever les titres : Lettre à l’abbé Raynal, l’Acte constitutionnel, le Choix des députés, les Dissensions des prêtres. Nous devons aussi rappeler sa collaboration au Journal de Paris, dont le parti modéré s’était emparé avec Regnauld de Saint-Jean d’Angély, et qui après la scission du club des jacobins au mois de juillet 1791 devint le centre de l’opposition constitutionnelle. Ce journal était moins un journal qu’une tribune ouverte où chaque publiciste, chaque écrivain, pouvait dire hautement son opinion sur les événemens et les partis ; dans. un supplément dont lui-même ou ses amis faisaient les frais. Le journal ne prêtait que sa publicité. André Chénier n’y publia pas moins de vingt et un articles. Quelques-uns de ces articles, par leur retentissement exceptionnel, par le développement des polémiques qu’ils suscitèrent, ont eu sur la destinée d’André une influence que nous mettrons en