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est d’avoir besoin des applaudissement de la multitude. Cette allusion fut vivement relevée par Marie-Joseph : « Si j’avais perdu deux ou trois années, dit-il dans ses Nouvelles Réflexions sur les Sociétés patriotiques, à composer des tragédies impartiales ou insignifiantes, et même deux ou trois matinées à écrire pour un journal quelques pamphlets modérés, j’aurais trouvé un grand nombre de preneurs puissans et actifs… Peut-être aurais-je pu en 1791 me glisser dans la foule des députés de Paris et siéger à l’assemblée nationale entre M. Robin-Léonard et M. Thorillon. Cette bienveillance est dans la nature des choses. » Plusieurs personnes avaient mal compris ce passage en croyant y voir une allusion à quelque tragédie insignifiante composée par André, allusion sans portée, puisque André n’avait pas même essayé, comme cela est certain maintenant, d’entrer dans la vie publique. Marie-Joseph veut dire tout simplement que c’est l’éclat même de ses tragédies patriotiques qui l’a exilé de l’assemblée, que, s’il se fût résigné à être médiocre, il eût trouvé toutes les voies aplanies devant lui, enfin que son goût pour le parti des jacobins est un sentiment bien désintéressé, et qu’il est décidé, s’il le faut, à dédaigner la majorité esclave et à partager le sort de la minorité libre et vaincue. — Toujours la déclamation. C’est de l’audace, en juillet 1792, de prétendre qu’il y a du désintéressement à être jacobin. Être jacobin à ce moment, c’était être du côté de la force, du côté de la popularité, — à quel prix, Marie-Joseph dut le sentir plus d’une fois, s’il eut, un seul jour, une heure de recueillement dans ce tumulte de passions ardentes ou furieuses où il s’était jeté et qui l’entraînait de plus en plus loin de son frère, spectateur viril et triste de cette grande orgie. Cependant la discussion ne se prolongea pas au-delà du 19 juin. André ne répondit pas, soit que la famille se soit interposée entre les deux frères, soit que le plus sensé des deux ait regretté l’éclat presque scandaleux de cette discussion publique, et, comme on disait alors, fratricide.

C’est à cette date que se rapportent sans doute, non pour la composition, mais pour la conception et l’idée, deux de ces précieux fragmens qui ont reparu au jour dans l’édition de M. Gabriel de Chénier, et qui sont comme un poétique commentaire de cette période de la vie d’André. Il est bien probable, selon l’ingénieuse explication de M. Becq de Fouquières, que ces deux fragmens, classés à tort parmi les ïambes par le dernier éditeur, appartenaient dans la pensée du poète à l’une de ces esquisses de comédie ou de drame satyrique (la tragédie plaisante des Grecs), si commodes pour recevoir les allusions aux événemens contemporains, probablement à cette comédie des Initiés que le poète devait imiter des Baptes d’Eupolis. Le premier fragment est en effet une scène d’initiation